Un livre pour s’immerger dans une période difficile de notre histoire, la Seconde Guerre mondiale, en partie vécu en Moselle, mais aussi dans des camps de prisonniers en Allemagne et en Ukraine, les redoutés Stalags.
Si aujourd’hui j’ai un immense plaisir à pouvoir partager avec vous cet ouvrage, je n’en oublie pas moins la triste disparition de son auteur, monsieur Henri SCHOUN.
Dans les années 2010, je rencontrais cet homme passionné de l’Histoire. J’étais à la recherche de documents et informations sur la ville de Boulay-Moselle début 1900, à l’occasion de l’écriture de mon deuxième livre, « Boulay-Moselle et son canton, d'hier à aujourd'hui » aux Éditions Alan Sutton. Et qui mieux d’autre qu’un autochtone enthousiaste de l’écriture et le passé pouvait me renseigner.
Lors de nos très intéressantes rencontres il me confia à son tour le fruit de son travail, cet ouvrage qu’il écrivait pour le plaisir de se souvenir et de laisser une trace à sa famille de cette dure période de sa vie. En fervent admirateur je me proposais alors de partager son ouvrage sur mon Blog Metzavant.com, chose qui l’intéressa de suite, à une seule condition, de ne pas le faire de son vivant. Je trouva cette idée étonnante mais je la respecta, son livre resta dans mes archives pendant ces longues années.
Monsieur Henri SCHOUN nous a quitté le 11 août 2017 à l'âge de 96 ans, je ne me suis pas mis de suite à la tâche, mais aujourd’hui, après de longues heures de retranscription, scanne, mise en page et intégration dans mon blog, son ouvrage est enfin consultable.
La particularité de ce livre c’est l’immersion qu’il procure, dix années d’une vie où l’on ressent le vécu de l’auteur dans les moindres détails par ses anecdotes, photos et croquis personnels.
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Henri SCHOUN
DIX ANNÉES
QUI ONT MARQUÉ MA JEUNESSE
1938 - 1948
Ces quelques récits, histoires ou anecdotes, couvrent la période des années 1939 - 1948. Il ne s'agit pas de récits de batailles ou de combats, les historiens les ont largement développés et traités.
Les faits rapportés sont personnels, en relation, bien évidemment, avec les évènements. Ces faits je les ai vécus, en tant que témoin, auteur et acteur bien souvent ...
DEBUT DE MA VIE MILITAIRE
Je me suis engagé par devancement d'appel, le 31 Août 1938, au titre du 146e Régiment d'Infanterie de Torta 2ème compagnie d'équipage d'ouvrages, stationnée à Ban-Saint-Jean, commune de Denting.
Au moment des événements de Tchécoslovaquie, toutes les jeunes recrues, dont je faisais partie, furent repliées largement en arrière de la zone frontière. Nous nous retrouvâmes à Corny pour une vie de château peu ordinaire. En effet, c'est dans le Château de Corny que nous fûmes logés.
La période de tension passée, après les accords de Munich, nous rejoignîmes à pied nos casernements de Ban-Saint-Jean (par Corny, Fey, Guinglange, Bambiderstroff, Zimming).
Puis ce fut le peloton d'élèves caporaux au camp de Zimming. Sorti premier au peloton régimentaire, je fus nommé caporal chef le 01.03.1939
Je suivis ensuite le stage préparatoire de spécialiste d'armement de forteresse au camp du 162e RIF de Denting. Fin août 1939 nos paquetages étaient prêts pour nous rendre à Bitche, où devait se dérouler le stage proprement dit (vraisemblablement le 25/08). Des bruits de mobilisation circulaient déjà et nous avions obtenu pour la soirée (permission dite de Spectacle) et toute l'équipe se rendit à Boulay. Je pris le train vers 19 heures pour me rendre à Condé, auprès de Marie PELTE que j'avais connue quelques semaines auparavant. Mes camarades devaient venir m'attendre à la gare de Boulay, à mon retour vers 22 h, pour remonter ensemble à Denting.
Alors que j'attendais le train en gare de Condé, l'alerte fut donnée au PC, canons de 420 sur voie ferrée, dont le PC était installé dans des wagons en gare de Condé, les canons quant à eux stationnaient sur une voie spécialement construite près de Loutremange (j'ai vu et entendu tirer ces canons en juin 1940).
A mon arrivée à Boulay, j'informais mes camarades de ce fait et nous constatâmes que le 162e RIF du camp de Boulay était lui aussi en alerte. Nous rejoignîmes en hâte le camp de Denting, au lieu de partir pour Bitche, nous fîmes immédiatement envoyés dans nos unités respectives.
A notre arrivée (camp de Ban Saint-Jean) où le commandement fit rejoindre nos positions de combat où nous avions déjà été précédés par le bataillon. En ce qui me concerne, j'ai joint le petit ouvrage du Mottenberg.
Petit ouvrage du MOTTEMBERG |
Petit ouvrage du MOTTEMBERG BLOC 1 État mars 1993 |
DE LA DECLARATION DE GUERRE - 2 SEPTEMBRE 1939
A L'ARMISTICE - 25 JUIN 1940
Je faisais partie d'une compagnie d'équipages d'ouvrage du 146ème Régiment d'Infanterie de Forteresse stationné au camp du Ban Saint-Jean à 4 kms de Boulay.
A la déclaration de guerre, nous sommes devenus 160ème Régiment d'Infanterie de Forteresse. En temps de paix les ouvrages étaient occupés en permanence par un effectif réduit. Dès le mois d'août 1939, la totalité des effectifs de l'armée d'active occupèrent les ouvrages et nous vîmes successivement arriver le er échelon de réservistes (originaires des localité avoisinantes) qui devaient rejoindre leur poste immédiatement en cas d'appel, puis un 2ème échelon de réservistes originaires de la région parisienne et du Nord de la France, qui eux disposaient de 48 heures pour rejoindre leur affectation.
En ce qui me concerne, mon affectation était au bloc 1 de l'ouvrage du MOTTENBERG près de BOUCHEPORN dénommé A 32, comme chef de chambre de tir, dont la mission principale était la défense du col d'Obervisse et des missions secondaires. Les tirs d'appui sur les 4 casemates du Bisterberg et de I'annexe Sud de Coume, ouvrage A 31. A cet effet, je disposais de 2 jumelages de mitrailleuses et d'un canon de 47.
Dès lors, la vie s'organisa à l'intérieur de l'ouvrage à l'identique de la marine, en assurant un service par quart. Le personnel disponible était occupé au renforcement et au minage des abords de l'ouvrage.
Au mois de janvier 1940, je bénéficiais d'une permission de détente de 10 jours. Il avait tellement neigé les précédents que la circulation des véhicules était devenu impossible, et que seule subsistait une piste serpentant entre 2 rangées de buissons qui n'étaient autres que les houppiers des arbres fruitiers existant de part et d'autre de la route départementale que j'empruntais pour me rendre à Boulay.
A la déclaration de guerre, nous avons vu passer la population des localités situées en avant des ouvrages. Notamment, celles de Boucheporn et Porcelette, qui empruntèrent le chemin départemental en direction de Boulay. Il s'agissait essentiellement de chariots tirés par des chevaux ou des vaches chargés de bagages sur lesquels étaient assis les personnes.
A la fin de l'hiver, je bénéficiais fréquemment d'une permission de quelques heures pour me rendre à Boulay auprès de ma famille. Cet avantage était également accordé à tous les frontaliers, dont les familles habitaient les localités avoisinantes non encore évacuées. (En deça de la ligne des ouvrages) A l'occasion, l'un ou l'autre me prêtait une bicyclette.
ANECDOTES
Le bloc 1 auquel j'étais affecté, était le bloc d'entrée de l'ouvrage. Tous les visiteurs devaient obligatoirement se soumettre à 2 contrôles de reconnaissance.
Un jour, me trouvant devant la porte de l'ouvrage, je vis arriver le capitaine FOUBERT qui commandait la 7ème compagnie de Fusiliers voltigeurs. Cette compagnie était notre voisine au camp de Ban Saint-Jean et je connaissais cet officier ayant fait souvent, avant la guerre, des marches de bataillons avec lui. Comme il était "très enveloppé", il emmenait toujours 2 chevaux de selle ; la montée des côtes lui était assez pénible, un cheval n'aurait pas tenu le coup. Donc FOUBERT arrive. "Salut", me dit-il, le "Plouc" est-il là ? (Celui qui avait été affublé de ce surnom était le capitaine CLOAREC -breton- qui commandait l'ouvrage du Mottemberg).
- Il est à son PC.
- Bon, je vais le voir.
- Mon Capitaine, avez-vous le mot de ralliement ?
- Ne m'em... pas avec ça, je descends dans l'ouvrage.
- Non, mon Capitaine, vous ne pouvez entrer !
- Bon, dit-il, en s'asseyant sur un fût, téléphone lui que je suis là.
- Le capitaine CLOAREC alerté, grogna quelques mots inintelligibles et me dit : "j'arrive" !
Il arriva quelques minutes plus tard et FOUBERT lui dit : "Ton chef de poste n'a pas voulu me laisser entrer", et il lui répondit : "Il a raison, il a des ordres" !
Les deux officiers pénétrèrent dans le bloc d'entrée. FOUBERT manifesta le désir de visiter une cloche de guet. pour ce faire, il fallait escalader une échelle à barreaux scellée dans la paroi, et s'introduire dans la cloche par une trappe qui faisait partie du plancher mobile de la cloche. Il fit tant et si bien qu'il resta coincé, et il lui fut impossible de monter et de redescendre. Il fallut pour le tirer de cette situation, faire descendre le plancher mobile.
Les ouvrages étaient fréquemment l'objet de visites de curiosité par des officiers supérieurs d'autres armes, et dont les autorisations de visites étaient délivrées par I'état Major et l'horaire signalé.
C'est ainsi que nous reçûmes un jour un colonel anglais. Une des parties les plus spectaculaire était la chambre de tir du bloc d'entrée avec démonstration des différentes ses en batterie du canon et des jumelages de mitrailleuses.
Profitant de l'ouverture du créneau duquel nous avions ciré le canon, l'officier anglais contempla le site, posa quelques questions au commandant d'ouvrage et dit notamment :
"Dites-moi cap'taine, à quoi sert cet étrange appareil là ... dans le champ de tir ?"
Le capitaine CLOAREC, très impressionné d'avoir vu son ouvrage choisi pour une visite de tout un Etat Major anglais, répondit, très sûr de lui :
- "Mon colonel, il s'agit d'une faucheuse-lieuse pour arracher les pommes de terre, abandonnée par les cultivateurs !"
On n'a jamais su si la réponse avait satisfait les Anglais, toujours est-il, que l'histoire a rapidement fait le tour des 3 blocs et du PC de l'ouvrage. (De même que celle du capitaine FOUBERT).
La vie à l'intérieur de l'ouvrage se poursuivait avec ses périodes de veille et de repos au cours desquelles nous ne cessions de parfaire la protection rapprochée de l'ouvrage par la pose de barbelés et de mines.
Puis vint l'offensive du 10 mai 1940, avec le retrait des troupes d'intervalles qui devaient participer à la bataille de France.
Dès la mi-juin, nous étions encerclés et avions à faire face aux coups venant de l'arrière. Nous fûmes alertés par le franchissement de cette zone laissée libre par un véhicule léger allemand, un coup de canon l'arrêta net.
Au cours de leur retraite, les troupes d'intervalles avaient omis de mettre en place les barrières anti-chars à environ 300 mètres derrière nous. Un détachement de l'ouvrage fût dépêché pour effectuer cette opération. Il se trouva malheureusement que le PC de notre ouvrage omit d'avertir l'ouvrage voisin - l'annexe sud de Coume - dont les mortiers de 81 mm nous prirent à parti. La méprise fut immédiatement signalée, le tir arrêté. Il y eut toutefois quelques blessés légers.
Alors que l'ouvrage du KERFENT côté Sud succombait par les tirs venant de l'arrière (neutralisation des bouches d'aération et des créneaux de la chambre de tir), notre casemate sud du être évacuée pour les mêmes raisons et l'équipage fut recueilli par l'ouvrage du MOTTENBERG. Il devint rapidement évident que le prochain objectif des Allemands était la destruction de notre ouvrage. Cela commença par un tir d'artillerie très puissant, dont les canons étaient installés dans le bois du Méderchen, environ 800 m derrière nous. Le harcèlement se fit plus important, et nous attendions le choc d'un moment à l'autre.
André CHARPENTIER (du 18ème Génie) que je retrouvais plus tard en captivité, me raconta que tout avait été prévu pour faire sauter l'ouvrage. Ceci me confirma ce que nous avions cru déceler dans une espèce de fébrilité qui s'était emparée du commandement de l'ouvrage.
Cette perception des choses se confirma lorsque le capitaine CLOAREC vint se rendre compte sur place des dispositions prises pour la mise en place de la défense rapprochée (c'est-à-dire pour repousser les tentatives d'investissement de l'ouvrage). Le capitaine CLOUAREC m'adressa personnellement des propos qui ne laissèrent planer aucun doute sur sa détermination de se saborder si nécessaire. Je lui répondis qu'il valait mieux se battre jusqu'au bout.
L'armistice du 25 juin 1940, nous plongea dans la douleur. A notre sentiment d'impuissance, se mêla un sentiment de soulagement ; celui de savoir qu'en cas d'investissement de l'ouvrage, si nos défenses venaient à être neutralisées, nous sautions...
Au sujet de la faucheuse-lieuse... Lorsque la pression des Allemands s'exerça en avant de nos lignes, nous reçûmes des instructions afin de vérifier l'état de fonctionnement de nos armes. J'essayai la précision du canon de 47 et pris pour cible le centre d'une des roues de la faucheuse (celle-ci était située à environ 300 mètres). La précision du tir fut telle que la roue vola en éclats et l'engin s'affaissa.
10 mai.
C'est à ce moment que furent évacuées les localités situées en arrière de la ligne, notamment Boulay, jusqu'à Condé-Northen inclus.
DE L'ARMISTICE AU DEPART EN CAPTIVITE
LE 4 JUILLET 1940
Dès le lendemain de l'armistice, nous avons mesuré toute l'incertitude de notre situation (voir on a livré la ligne Maginot). Encerclés mais pas vaincus, quel serait notre sort ?
Le lendemain ou le surlendemain de l'armistice, les guetteurs (ceux-ci étaient toujours en place) signalèrent qu'un groupe d'Allemands avec drapeau blanc commençait à se frayer un passage à travers le réseau de barbelés. Le commandant de l'ouvrage, alerté, arriva rapidement au bloc d'entrée et me dit :
- "SCHOUN, vous parlez allemand"?
- "Oui, mon capitaine".
- "Vous accompagnerez le lieutenant X... (dont j'ai oublié le nom), vous leur intimerez l'ordre de ne plus avancer et de se retirer à l'extérieur du réseau de barbelés, et que nous, de notre côté, nous nous engageons à ne pas en sortir".
Je me rendis donc avec cet officier vers les Allemands, je leur communiquai (puisque j'étais porte-parole) les ordres. Surpris de m'entendre m'exprimer dans leur langue, ils essayèrent de parlementer, de nous proposer des cigarettes pensant qu'ils avaient à faire à une troupe démoralisée et totalement démunie dont les ressources étaient épuisées. Bien entendu, je traduisis leurs propos à l'officier qui m'accompagnait. Devant notre attitude ferme et intransigeante, les Allemands se retirèrent.
Passant de l'optimisme au pessimisme, brûlant et détruisant toutes nos affaires personnelles, correspondance, je brûlais aussi ma documentation personnelle de spécialiste d'armement.
Enfin, le 3 juillet 1940, nous apprîmes que c'était bien en captivité que nous serions emmenés. En tant que "prisonniers d'honneur". Quelle dérision ! Une tenue appropriée fut prescrite par le commandement français.
Le 4 juillet au matin, tout l'effectif de l'ouvrage fut regroupé dans les escaliers d'accès au Bloc 1 (bloc de sortie) prêt à sortir et à être rassemblé devant l'ouvrage. La voie d'accès, débarrassée du réseau de barbelés, constituait l'aire de rassemblement. Une section d'Allemands arriva, prit place devant l'ouvrage et mit en batterie une mitrailleuse face à la porte d'entrée. La sortie devait se faire dans l'ordre des Blocs : 1 - 2 - 3 PC et services. Appartenant au Bloc 1, chef de groupe 1 (il y avait 4 groupes) je sortis un des premiers avec mon chef de Bloc et nous nous rangeâmes pour être dénombrés par les Allemands. Lorsque les camarades du Bloc 3 sortirent (c'était le bloc tourelle) j'entendis un juron prononcé par un des chefs de tourelle. Il s'engouffra dans l'ouvrage et quelques minutes plus tard, nous vîmes avec stupéfaction la tourelle éclipse se mettre en position de tir sur la section allemande et la mitrailleuse. Il semblerait qu'il ait été persuadé que les Allemands allaient nous massacrer, et devant la moindre tentative hostile, il aurait été prêt à réagir (c'est ce qu'il nous a déclaré plus tard). Les Allemands ne semblèrent pas s'être aperçus de l'incident, en tout cas, ils n'en firent pas état.
Et nous partîmes vers Boulay rejoindre le camp du 162ème RIF, lieu de rassemblement des équipages des ouvrages du secteur.
Vue d'ensemble du camp de Boulay 162e RIF |
L'entrée du camp de Boulay 162e RIF |
Attestation du capitaine CLOAREC, commandant de l'ouvrage |
SUR LE CHEMIN DE LA CAPTIVITE
STALAG VII A - MOOSBURG OBERBAYERN
Le regroupement des effectifs des ouvrages avait rassemblé environ 2000 prisonniers dans la caserne du 162ème RIF à Boulay. On retrouvait des camarades d'active, des boulageois et des habitants de la région rappelés à la déclaration de guerre.
Le départ fut donné en direction de Sarrelouis. Je ne pense pas être passé devant notre maison. Le pont de la Route de Sarrelouis ayant sauté, nous avons dû passer par le chemin du Weyer. Si le départ semblait s'être effectué dans un certain ordre, ce fut bientôt la débandade. Des écarts se creusaient entre les groupes, situation à laquelle les sentinelles allemandes essayaient de mettre bon ordre. Nous traversâmes Tromborn, totalement dévasté , et arrivâmes à Sarrelouis pour être logés, pour la nuit, dans une ancienne usine désaffectée. Je pense qu'il s'agissait de l'ancienne tuilerie Léo STEIN, de laquelle mon père était client avant le rattachement de la Sarre à l'Allemagne (1935, et où je l'avais quelques fois accompagné).
Tromborn en ruines |
Juillet 1940 |
Le lendemain, 5 juillet 1940, ce fut le trajet de Sarrelouis, Völklingen, Sarrebrück. Nous longions les rives de la Sarre sur lesquelles les Allemands avaient construit le pendant de la ligne Maginot, le Westwall ou ligne Siegfried. Plusieurs petits blockhaus y avaient été implantés. Au cours d'une halte - l'humour français ne perdit pas ses droits - plusieurs d'entre nous déployèrent et étendirent sur la superstructure d'un des blocs : chemises, caleçons, chaussettes etc... et bientôt nous entonnâmes la chanson en vogue au début de la guerre : "Nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried, car pour pendre notre linge voici le moment..." Cela malgré le tragique de la situation.
Puis ce fut l'arrivée à la prison du "Lerchenflur" à Sarrebrück, dans laquelle on nous fit passer la nuit, et où je rencontrais Léon KRAUSE, qui était instituteur à Boulay. C'est là, que les Allemands nous séparèrent des officiers qui étaient restés avec nous. Nous étions partis en unités constituées, n'étions-nous pas des "prisonniers d'honneur ?".
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Nous nous retrouvâmes à 15 ou 17 Originaires de Boulay, dont Jean-Marie GALLERON né le 3 juillet 1920, ami d'enfance (nous habitions la même rue), Jean GREFF, menuisier, habitant également rue de Sarrelouis à Boulay, et dont les fenêtres de sa menuiserie donnaient sur notre jardin : Henri LEVY et bien d'autres .... On y trouvait aussi, presque au grand complet, l'équipe de football du F.C. Metz. Ceci nous valu quelques matches épiques France-Pologne, car il y avait de nombreux polonais dans ce camp.
La propagande NAZIE ne tarda pas à entrer en action - n'offrait-elle pas quotidiennement à chaque lorrain un "Völkischer Beobarter" (organe officiel du parti) - J'eus un jour la stupéfaction d'y découvrir, en première page, la photo d'un ouvrage de la ligne Maginot. La légende indiquait que celui-ci fut "erobert" (conquis), après de durs combats. Il s'agissait d'une photo du bloc l du Mottenberg (mon bloc) que les Allemands avaient pris en photo après notre départ et après y avoir fait sauter l'énorme phare blindé destiné à éclairer de nuit la mission principale de la chambre de tir. Aucune confusion possible, je ne reconnaissais que trop les aménagements réalisés pour la protection rapprochée de l'ouvrage, travaux auxquels j'avais largement participé.
Une autre photo prise par les Allemands montrant les prisonniers acclamer une décision de Hitler en notre faveur. Il s'agissait en définitive de deux ou trois Allemands montés sur une remorque et lançant de temps en temps une boule de pain, d'où un attroupement considérable de prisonniers, les deux bras en l'air, pour tenter d'attraper un pain (scène à laquelle j'ai personnellement assisté, et dont j'ai vu prendre des photos par les Allemands).
Les Allemands rassemblèrent tous les Lorrains nous expliquer que nous serions prochainement libérés, raison du rattachement de la Lorraine à l'Allemagne.
Les Allemands réunirent quelques jours plus tard tous les Lorrains et firent l'appel de ceux qui devaient être libérés. Henri LEVY refusa la libération en raison de sa confession juive ; quant à Jean-Marie GALLERON et à moi-même elle nous fut refusée, vraisemblablement parce que nous étions engagés volontaires par devancement d'appel, peut-être aussi en raison de nos sentiments patriotiques exprimés et, enfin n'étions nous pas nés en 1920, donc français de naissance, et non réintégrés dans la nationalité française.
A la fin de l'année, le 2 novembre 1940, on nous proposa le retour en Moselle. Aucune condition particulière n'ayant été mise par les Allemands, Jean-Marie GALLERON et moi-même (Henri LEVY, de confession israélite, refusa de bénéficier de cette proposition et partit travailler en kommando), nous pensâmes après de mûres réflexions, qu'il serait certainement préférable de nous faire libérer en tant que lorrains et d'essayer ensuite de gagner la zone libre, plutôt que de tenter une évasion de Bavière. C'est ainsi que nous fûmes transférés au Stalag V C à OFFENBURG sur le Rhin, en face de STRASBOURG, où les Allemands avaient réuni tous les "cas particuliers". Après examen, ils décidèrent de nous libérer sans que nous soyons soumis à une contrainte quelconque. Et nous rentrâmes dans nos foyers respectifs.
Pendant mon séjour au Stalag VII A où la vermine réait en maître, à la suite de grattages, une plaie se dévelloppa sur la face externe de mon mollet gauche, se transformant en ulcère assez profond, de la taille d'une petite bille et dont les bords se violaçaient. La jambe enfla jusqu'à la cheville. Je craignais la gangrène. Les visites à l'infirmerie n'apportèrent aucune amélioration. C'est alors qu'un camarade me proposa un produit désinfectant : DU BOROSTYROL, qui agit sur la plaie efficacement. J'en conserve encore la cicatrice.
Dessins réalisés par mes soins en août 1940 au Stalag VII A - MOOSBURG -
Dessin du bâtiment appelé "la cantine" |
Groupe de 6 lits J'occupais la place côté droit de la rangée centrale |
Entrée d'une baraque |
Vue d'ensemble d'une baraque |
Très souvent, le soir, les Allemands ouvraient à l'improviste une des fenêtres et distribuaient des seaux de "soupe" excédentaires. J'eus quelques fois la chance de récupérer l'un d'entre eux, que nous nous partagions alors avec d'autres boulageois.
TRAVAUX A LA FIRMA EIGEN
et de bâtiments)
Sans perdre de vue le but de notre libération, rejoindre la zone libre (cela ne pouvait se faire sans argent), j'acceptais une proposition de l'Arbeitsamt (l'office allemand du travail). Je fus embauché comme géomètre sur leur chantier de Marienau Petite-Rosselle.
J'occupais cette fonction du 18 novembre 1940 jusqu'à la mi-mai 1941, date à partir de laquelle nous avions décidé, Jean-Marie GALLERON et moi, de mettre notre projet à exécution. Je quittais mon travail le 15 mai 1941, sans avertir personne de la hiérarchie de l'entreprise, et rejoignit Boulay.
Après ma libération comme lorrain, je fus embauche me géomètre à la Fa Eigen de DORTMUND, sur leur chantier Petite-Rosselle Marienau. Il s'agissait du creusement d'un canal pour l'évacuation des eaux de pompage du puits Simon IV dont les galeries avaient été inondées.
Situation paradoxale. Comme on peut le voir sur cette photo, des prisonniers de guerre français étaient employés à ces travaux, alors que quelques semaines auparavant, je partageais le même sort, mais dans un endroit différent. Ceux-ci étaient logés dans l'ancienne caserne des chasseurs de Forbach.
Il s'établit rapidement, entre eux et moi, avec toute la prudence que requerrait la situation, une complicité que je mettais à profit pour leur fournir des choses dont ils étaient démunis : tabac, cigarettes .... (sans bien évidemment ne rien accepter en échange) .... des renseignements sur la situation et même des cartes et plans.
PREMIERE EVASION
ARRESTATION - PRISON DE METZ - JUGEMENT
RETOUR AU CAMP DE PRISONNIERS
Nous quittâmes notre famille le 18 mai 1941 pour nous rendre à Metz, d'où, après 2 jours de préparation, Jean-Marie GALLERON et moi fumes d'abord hébergés chez Julia et Raymond SCHEID à METZ Sablon (Julia était une fille de Thérèse BOULANGER) puis, nous risquâmes le passage de la frontière.
C'était le 20 mai 1941, dans le courant de l'après-midi, nous prîmes le train en gare de Metz à destination de Novéant, dernière station avant la frontière de 39-45. Dissimulés dans une cabane entre la voie ferrée et la Moselle, à la hauteur de la gare de Novéant, nous attendîmes la nuit. Un premier train de marchandises venant de Metz et se dirigeant vers Pagny-sur-Moselle, s'arrêta vers minuit en gare, le train n'était pas long, il nous fut impossible de nous en approcher. Après une nouvelle attente d'environ 2 heures, un autre train de marchandises, très long celui-là, s'arrêta. Après le contrôle habituel du convoi, nous nous hissâmes dans une guérite de serre-freins. Le train démarra. A son arrêt à Pagny-surMoselle (zone occupée), il fut fouillé. Impossible de quitter la guérite. La porte de celle-ci fut brusquement ouverte, un faisceau de lumière nous aveugla. Nous avions devant nous la police allemande, qui, révolvers braqués sur nous, nous obligea d'une façon brutale à descendre du train. Révolver dans le dos, on nous emmena dans les locaux de la police allemande de la gare, il était 3 heures du matin.
Nous fûmes fouillés et interrogés. Devant notre mutisme à peu près total, on nous ramena à Metz afin de nous remettre aux mains de la Gestapo qui avait ses bureaux rue de Verdun. Après un bref interrogatoire, nous fûmes incarcérés à la prison de Metz, rue Maurice Barrès (en annexe, notification à ma mère de mon emprisonnement).
Police de sécurité Metz 28.5.1941
Madame Jeanne SCHOUN
Vous informe par la présente, que votre fils Henri SCHOUN, employé de chantier, né le 31?8.1920 à Boulay, se trouve ici en détention.
La Gestapo nous fit subir plusieurs interrogatoires, nous menaça de toutes les calamités possibles. L'affaire leur paraissait claire : engagés volontaires tous les deux dans l'armée française en 1938. Ils étaient bien renseignés sur nos antécédents. La Gestapo ne manqua pas de nous faire remarquer que nous avions essayé de passer en France pour Pouvoir de nouveau combattre contre l'Allemagne
Après 15 jours de détention, nous passâmes en jugement au Tribunal de METZ, pour les motifs suivants : passage illicite de frontière et infraction au règlement concernant les devises. Nous eûmes la chance de trouver en la personne de l'avocat Général, l'ancien lieutenant, chef de section de mon camarade, qui mit toute son ardeur à nous défendre, nous faisant passer pour des simples d'esprit et victimes de la propagande juive anti-nazi, ce qui ne nous valut que 8 jours de prison. Comme nous avions effectué 15 jours de prévention pour l'instruction, aux dires de l'Avocat Général, nous devions être libérés en sortant du Tribunal ; mais la Gestapo n'avait dit son dernier mot, elle le fit en nous faisant remettre dans un camp de prisonniers de guerre. Nous fûmes enfermés au fort de Saint-Julien-Les-Metz, en vue de notre transfert en Allemagne. Ce jugement a été annulé en date du 21 janvier 1946 par la cour d'appel, chambre détachée à Metz (voir annulation ci-dessous).
Après nous avoir débarrassés de nos vêtements civils, les Allemands nous firent revêtir des habits militaires français. Nous fûmes, Jean-Marie GALLERON et moi, enfermés dans une cellule sans lumière. Ma mère fut avisée ensuite de venir récupérer mes vêtements civils. Je ne tardais pas, au travers des cloisons, à communiquer avec d'autres détenus enfermés dans les cellules voisines. Il s'agissait comme nous, d'évadés repris.
TRANSFERT EN ALLEMAGNE
Après quelques jours de détention au fort de Saint-Julien, nous fûmes emmenés à la gare de Metz et embarqués dans un wagon à bestiaux qui fut accroché à un train de marchandises, direction l'Allemagne.
Le gardien en armes, assis sur une caisse au milieu du wagon, avait laissé la porte ouverte. Nous étions assis à même le plancher. Lorsque nous vîmes à Courcelles-sur-Nied que le train prenait la direction de Boulay, un plan s'échafauda rapidement entre Jean-Marie et moi : celui de sauter du train dans la traversée du tunnel de Téterchen. Le train roulait à une vitesse réduite. Dans cette perspective, nous nous étions assis en bordure de la porte. A Boulay le train s'arrêta et un employé de la gare passant devant le wagon nous reconnut, essaya de nous questionner "en patois boulageois" bien sûr, et me dit qu'il allait prévenir ma mère. Je sus bien des années plus tard, après la guerre, qu'elle était venue en hâte à la gare, mais le train était déjà reparti.
Pour nous, ce fut la désillusion, impossible dans ces conditions de sauter du train. L'évasion découverte, la sentinelle aurait eu vite fait de signaler la situation, ce qui n'aurait pas été sans risques pour ma mère. C'est ainsi que nous arrivâmes en gare de FRANKENTAL, lieu d'implantation du Stalag XII F. Je fus immatriculé une nouvelle fois sous le No 15150 XII F.
DEPART EN KOMMANDO
TRAVAIL A L'ARBEITSKOMMANDO 1019
A HETTENLEIDELHEIM
Kommando 1019 HETTENLEIDELHEIM 19.10.1940
De gauche à droite Debout : René PERRAUDIN, (?) , André CHARPENTIER, (?) , TRUCHARD, (?) , Gilbert PRUDHOMME. Assis : Jean-Marie GALLERON, FRILET (adjudant), Max PERELMUTER, Henri SCHOUN. |
De gauche à droite : Henri SCHOUN, René PERRAUDIN, André CHARPENTIER, Jean-Marie GALLERON. |
De gauche à droite : Jean-Marie GALLERON, Henri SCHOUN. |
Après être restés quelques jours dans ce camp, le 12 uin 1941, nous fûmes envoyés en kommando (camp de travail) à HEITENLEIDELHEIM (Pfalz) dans une usine de produits réfractaires où je rencontrais André CHARPENTIER de VINAY (Marne), un ancien du MOTTENBERG (ouvrage A 32) électro-mécanicien du 18 ème Génie, qui était resté à l'ouvrage comme l'avaient exigé les Allemands, pour leur enseigner le fonctionnement des parties électro-mécaniques de l'ouvrage, après le départ en captivité le 4 juillet 1940, soit 9 jours après l'armistice, des équipages d'ouvrage.
Ce kommando était gardé militairement et se trouvait dans un des bâtiments de l'usine. L'usine où nous venions d'être affectés comportait deux parties : l'usine proprement dite, où l'on fabriquait des moules en produits réfractaires pour les hauts fourneaux :
- Les aires de séchage de ces fabrications, - Les batteries de four de cuisson,
et une annexe de l'usine, avec les mêmes fonctions (distante d'environ 500 mètres),
- Les puits de mine où étaient extraites les différentes
terres glaises entrant dans la fabrication des moules, - Une carrière de sable de différentes natures, pour la même destination.
La majeure partie des 68 prisonniers que comptait le kommando, travaillait à l'usine même, voire à l'annexe pendant que 6 prisonniers (dont je faisais partie), formaient l'equipe des puits et travaillaient dans les mines de terre glaise distantes de 1,5 km à 2 km de l'usine. Le samedi après-midi, cette équipe travaillait à l'annexe de l'usine, au chargement et déchargement de wagons.
Ne voulant pas rester sur notre évasion non réussie et sur la deuxième tentative manquée, nous décidâmes, Jean-Marie et moi, de préparer une nouvelle évasion. Quelques jours avant e mettre le projet à exécution (automne 1941), l'usine fut bombardée et partiellement détruite, anéantissant nos préparatifs. Les locaux affectés au logement des prisonniers se trouvaient dans l'usine, c'est donc de justesse que nous n'avons pas été atteints. Souvent nous entendions le passage des avions anglais et les explosions des bombes plus ou moins loin. Je me souviens toujours de cette nuit mémorable (dont j'en ai oublié la date) où les avions nous survolaient, et mon camarade André CHARPENTIER S'écria "C'est pour nous" ! Son ouïe, peut-être un peu plus sensible que la nôtre, perçut avant nous le sifflement sinistre des bombes qui tombaient. Quel vacarme ! Quel tremblement de terre ! C'est alors que les gardiens nous ouvrirent la porte en criant : "Au feu" ! ... Quel spectacle ! et nous ... au milieu des flammes. Nous dûmes participer à combattre l'incendie. Les prisonniers furent utilisés au déblaiement. L'usine fut partiellement reconstruite, l'annexe ayant été épargnée, elle reprit ses activités, peut-être un peu moins importantes. La vie de kommando reprit son cours, et nous fûmes amenés à surseoir à toute tentative d'évasion.
Une ferme dépendait de l'usine et j'avais au mois août, participé à la moisson, ou plus exactement pendant quelques jours j'avais ainsi que d'autres camarades, chargé les voitures et remorques de bottes de blé.
Ensuite, occupé au battage, je connus une jeune femme Katarina HOFFMANN née KAISER, dont le frère Auguste, d'une quinzaine d'années (garçon de course à l'usine) convoyait quotidiennement de l'usine aux puits. J'avais obtenu quelque temps auparavant, dans un tube d'aspirine dissimulé dans une brioche, quelques timbres allemands et un billet de 50 marks (qui m'avaient été expédiés par mon parrain Henri FEYEL de METZ, frère de ma mère). Je convainquis le jeune Auguste d'expédier une lettre à ma mère, et de recevoir sous double enveloppe sa réponse. Grâce à leur complaisance, il s'instaura une correspondance régulière entre ma mère et moi. Cette chose était très simple du fait que le Westmarkt, le département de la Moselle, faisait partie de l'Allemagne depuis l'Armistice de 1940. La famille KAISER proposa à ma mère ou à quelqu'un de ma famille de se rendre chez eux pour essayer de me voir. Ma soeur accepta, et arguant de sa situation (de VOLKSDEUTSCH, c'était le nom que les Allemands avaient donné aux Lorrains annexés) elle se présenta au service de garde allemand du kommando des prisonniers. Elle du battre en retraite, à la suite de l'intransigeance des gardiens. A la suite du refus de ces derniers, la famille KAISER nous ménagea une entrevue dans la carrière de sable où nous attendions la venue des civils, le travail ne commençant que lorsqu'il faisait jour. C'était à l'entrée de l'hiver, et ta levée tardive du jour favorisa une rencontre, le lieu étant assez isolé.
Par quel hasard, ou mystère, cette entrevue fut-elle découverte et dénoncée ? Toujours est-il que la famille allemande ne put se tirer d'affaire, faute de preuves évidentes en versant un don important au VHW (secours d'hiver).
VACCINATION
Alors que je me trouvais au Arbeitskommando 1019 à HETTENLEIDELHEIM, (entre le 12 juin 1941 et 24 avril 1942) à une date que je n'ai pas retenue - peut-être après le bombardement - les allemands nous firent vacciner. Contre quoi ? Peut-être la typhoïde ? Un médecin, à la retraite, ayant repris du service en raison de la guerre, vînt un jour et nous fit une injection d'un produit dont il remplissait la seringue chaque fois que cela était nécessaire, en aspirant le produit dans un flacon. Les 68 prisonniers défilèrent un à un, et furent vaccinés avec... la même aiguille!
On est étonné d'une telle pratique de la part d'un médecin. Ne s'agissait-il pas, pour les allemands de protéger leur population, peu leur importait que par cette pratique soit inoculées des maladies transmissibles.
DEUXIEME EVASION
ARRESTATION EN GARE DE SARREBRUCK
KOMMANDO DISCIPLINAIRE
Deux camarades s'étant évadés au courant de l'hiver, la surveillance et la discipline furent renforcées. Nous étions 5 camarades décidés à tenter notre chance. Pour ne pas nous gêner mutuellement, et pour éviter que d'éventuelles sanctions rendent les évasions plus difficiles (car nous savions que d'autres camarades préparaient également une évasion), nous avions décidé de partir tous le même jour en formant 2 équipes indépendantes l'une de l'autre. D'un commun accord, la date fut fixée au samedi 24 avril 1942. Les équipes étaient composées de :
1/
- Jean-Marie GALLERON
- René PERRAUDIN
- Moi-même, Henri SCHOUN.
2/
- BARGES et DARCY.
Le jour de l'évasion travaillaient à l'usine Marie GALLERON, René PERRAUDIN et BARGES. Travaillaient l'annexe, DARCY et moi-même, ce qui compliquait singulièrement la recomposition des équipes dont les itinéraires étaient différents. L'évasion devait débuter le samedi après-midi vers 15 heures, en nous cachant dans l'usine les uns, dans l'annexe les autres, attendre la nuit pour risquer la sortie et nous retrouver, en ce qui concernait notre équipe, à partir de minuit, à un carrefour connu situé à 1,500 km de l'usine car il était impossible de quitter celle-ci de jour. J'avais choisi, pour me dissimuler, la superstructure d'une batterie Tours en service, me disant qu'en raison de la très forte chaleur qui régnait là, personne n'aurait l'idée de venir m'y chercher en cas de fouille. Les évènements devaient me donner raison. Dès la fin du travail, au rassemblement habituel, les gardiens constatèrent à l'usine principale l'absence des 3 camarades qui furent immédiatement découverts et repris, et alertèrent l'annexe afin de constater si de ce côté il y avait également des évasions.
Les évasions furent découvertes. Immédiatement, les gardiens aidés par des ouvriers civils, se mirent à fouiller systématiquement l'annexe. De l'endroit où je me trouvais, entre la superstructure des fours et la dalle à claire voie de l'étage supérieur du bâtiment (environ 0,60 m de hauteur) tapi dans l'obscurité je pouvais en partie voir les allées et venues des chercheurs : gardiens fusil à la main, baïonnette au canon, civils armes de gourdins, poussant des rugissement, tentaient de nous découvrir. Comme par mes origines connais bien la langue allemande, j'entendis que mes camarades étaient découverts à l'usine. Je compris également qu'un des gardiens donnait l'ordre de fouiller le dessus des fours. Un chef d'équipe de l'usine me sauva sans le vouloir en objectant que des recherches sur les fours étaient complètement inutiles, en raison de la grande chaleur qui régnait là, il était tout à fait impossible de séjourner à cet droit. Les Allemands et les civils abandonnèrent les recherches assez rapidement car l'annexe n'était pas très importante et ses arrières donnaient directement sur la campagne. Ils conclurent que nous avions dû prendre le large immédiatement.
Et pourtant, j'y suis resté pendant six heures ! Desséché, déshydraté, ne pouvant plus avaler. J'attendis la nuit pour profiter du fait qu'il n'y avait qu'une équipe civile réduite qui travaillait, et j'essayais de sortir de l'usine. J'ignorais totalement ce qu'était devenu mon camarade DARCY faisant partie de l'autre équipe, et constatais que tais le seul de mon équipe à n'être pas repris. Je me laissais glisser le long d'une poutre jusqu'à terre et me faufilais à travers les couloirs pour atteindre une sortie. Je restais pendant de longues minutes à observer le manège du civil chargé d'un monte-charge, car il me fallait passer à 3 mètres derrière lui pour atteindre la porte de sortie, et je ne disposais que de quelques secondes chaque fois que ce civil était occupé à faire entrer une berline dans le monte-charge. A quelques pas de moi se trouvait la porte donnant accès sur la cour de l'usine, et derrière cette porte c'était l'inconnu. Qu'y avait-il ? Un gardien ? Une ronde ? Des civils ? Il n'y avait plus à hésiter, profitant du bruit que faisait la berline en entrant dans le monte-charge, je sortis d'un bond et me trouvais brusquement à l'extérieur, plaqué contre le mur. La nuit était claire et rien ne semblait anormal. Je me décidais à franchir la cour, les voies ferrées puis la clôture de l'usine. Je me trouvais en pleine campagne. Je me dirigeais vers le lieu de rendez-vous espérant que l'annonce faite par un gardien (de la découverte de 3 camarades) n'avait peut-être d'autre but que de créer un effet psychologique. J'attendis en vain, personne au rendez-vous du carrefour. Je dus me rendre à l'évidence, mes deux coéquipiers s'étaient fait reprendre. Quant à l'autre camarade qui n'avait pas été repris, il devait être de l'autre équipe. Il n'était pas question de le retrouver puisque nous avions des itinéraires différents.
Après une assez longue attente, je me rendis au puits de mine où je travaillais habituellement, pour récupérer des objets et vêtements civils que i'avais dissimulés depuis quelque temps, dans une cabane à outils. J'attendis le jour, les puits d'extraction, assez éloignés de l'usine, étaient déserts le dimanche. A l'origine, il avait été convenu que s ne ferions que des étapes de nuit. Comme j'étais seul, le cas se présentait d'une façon différente. Possédant de l'argent allemand et des vêtements civils corrects, je me dirigeais vers la gare de RAMSEN, où je pris le train. J'avais essayé de tout prévoir, tout sauf une malencontreuse patrouille militaire allemande qui contrôlait le train au moment où celui-ci arriva en gare de SARREBRUCK. Evidemment je n'avais pas de papiers en règle. Au moment où j'allais être remis entre les mains de la Gestapo, je préférais avouer être prisonnier évadé. Ayant gardé un très mauvais souvenir de mes démêlés avec cette police lors de ma première évasion, je trouvais qu'il était préférable de rester aux mains de l'armée.
Après mon arrestation je fus ramené au Stalag XII F À FRAENKENTAL, et placé dans une compagnie disciplinaire où j'eus la surprise de retrouver Jean-Marie CALERON et René PERRAUDIN avec lesquels j'aurai du équipe. Ceux-ci avaient été arrêtés dans l'usine principale au moment même où ils tentaient de mettre leur projet à exécution. Un membre de l'autre équipe, DARCY, musicien de Lyon qui, comme moi s'était dissimulé dans l'usine annexe (pour également quitter celle-ci de nuit, dans les mêmes conditions que les miennes) put arriver jusqu'à proximité de la frontière SUISSE, où il fut arrêté. Quant au cinquième évadé, BARGES, professeur de philosophie il fut, comme mes deux autres camarades, arrêté sur place.
Après quelques jours, les Allemands nous emmenèrent, avec d'autres évadés, dans un kommando disciplinaire à GERMERSHEIM, où nous fûmes occupés au creusement de tranchées de drainage.
Rassemblés un jour, sans préavis, par nos gardiens, les fermiers pour lesquels nous exécutions ces travaux furent surpris et posèrent quelques questions à ceux-ci. Par ma connaissance de la langue, je pus suivre la conversation, et appris ainsi le sort qui nous était réservé. Une femme en apprenant cette destination dit : "Mein Gott" (mon Dieu), car il s'agissait de notre transfert aux confins de la Russie : RAWA-RUSKA. Une note lue et affichée dans les kommandos, au début de l'année 1942, mettait en garde les prisonniers évadés, qui seraient repris, du risque qu'ils encourraient d'être transférés dans un camp à l'Est, spécialement aménagé pour eux. Personne n'y crut.
REFLEXION SUR LA DEUXIEME EVASION
Nous avons admis plus tard, que la date du 24 avril 1942 était mal choisie. Pouvions-nous le savoir ? Elle correspondait à la date d'évasion du général GIRAUD. Partout, de ce fait, les patrouilles et contrôles furent renforcés. DARCY mol en furent les victimes. DARCY nous raconta que, cerné dans un bosquet par un groupe de civils, agriculteurs vraisemblablement, ceux-ci se précipitèrent sur lui en criant : le général !
Au sujet de la note lue et affichée dans les kommandos, est question auparavant, je n'avais pas précisé certains points ;
- c'était mon ami Jean Marie GALLERON qui avait été chargé de lire cette note.
- Elle était rédigée en allemand et comportait une traduction en français.
- Le nom de RAWA-RUSKA y était mentionné.
- Jean-Marie qui possèdait bien la langue, nous fit remarquer que le texte allemand était très ambigu. Qu'il s'agissait bien d'enlever aux évadés, repris, toute possibilité de récidive, et de leur transfert à l'Est à RAWA-RUSKA. Jean Marie ajouta que le texte n'était pas très clair, que l'on pouvait aussi lui donner l'interprétation suivante : transfert a l'Est où ils disparaîtraient de la circulation.
TRANSFERT AU STALAG 325
STALAG DISCIPLINAIRE DE RAWA-RUSKA (Galicie)
Nous fûmes, dans un premier temps, rassemblés au XIIA à LIMBURG. Lieu de rassemblement de tous les échappés des provinces allemandes. Nous étions les révoltés captivité. L'Allemand le savait et décida de nous mater. Il nous déporta au-delà des frontières allemandes, le plus loin possible des frontières françaises, dans un camp de représailles de l'Europe Centrale.
Avant de nous embarquer dans des wagons à bestiaux à destination de RAWA-RUSKA, nom d'une ville polonaise située non loin de la frontière Russe, Les Allemands procédèrent à une ultime fouille. De la musette, où à défaut de la serviette de toilette ou d'un grand mouchoir, furent retirés les rasoirs à main, les couteaux et les ciseaux. Le trésor du prisonnier encore une fois amputé, ne se composait plus maintenant, que de ses photographies et d'un rudimentaire nécessaire de toilette.
Au cours de mon séjour dans ce stalag, j'ai eu l'occasion de rencontrer Maurice BERTRAND (lui n'était pas évadé) qui fréquentait Jeannette PIROT de BOULAY, habitant à proximité de chez nous et que je connaissais bien. Ils se marièrent après la guerre. Connaissant le sort réservé aux chaussures des évadés, je lui offris les miennes qui étaient encore en excellent état, en échange de ses sabots. Ce qui évita au moment de l'ultime fouille que j'en sois dépossédé.
Rassemblés avec d'autres camarades d'infortune, nous mes embarqués dans des wagons à bestiaux, cinquante par wagons, portes closes et fenêtres grillagées. La position couchée n'étant pas possible pour tout le monde, les autres durent rester debout et une rotation s'opéra.
Un récipient devant servir de tinette fut placé au u du wagon. Le long trajet commença, entrecoupé d'heures d'attente interminable. Nous avons vu par la suite, que de nombreux wagons avaient été accrochés, et que nous formions un très long convoi. Certains avancèrent le chiffre de deux mille prisonniers.
Les portes des wagons furent ouvertes deux fois : une rase campagne, ou étions-nous ? Les gardiens nous descendre des wagons après que toutes les précautions eurent été prises, ce que nous constatâmes à notre descente. de sentinelles, mitrailleuses, etc... pour éviter toute velléité d'évasion. Durée de cet arrêt ? Je ne m'en souviens plus.
Deuxième arrêt en gare de DRESDEN. Arrêt mémorable et épique. Sur un quai de gare, la croix-rouge allemande nous attendait. Les portes furent ouvertes, après qu'un cordon de sentinelles mis en place, limitait l'évolution devant nos wagons. Des infirmières nous servirent une espèce de soupe pois cassés. C'est alors que l'évènement se produisit.
Erreur d'aiguillage ? Fait exprès ? Un train avec wagons normaux de voyageurs s'arrêta en face de notre convoi wagons à bestiaux. Ce train était apparemment bondé de soldats allemands. En regardant de plus près, ceux-ci arboraient un blason aux couleurs tricolores françaises. Il s'agissait tout bonnement de volontaires français de la L.V.F. (légion de volontaires français contre le bolchevisme), des injures parties de nos rangs, fusèrent. Puis ce furent deux mille voix qui hurlèrent. Un mouvement d'agression émanant toujours de nos rangs, par des hommes en sabots et en guenilles, s'amorça. Craignant d'être débordées, les sentinelles nous firent refluer et embarquer, geste à l'appui, dans nos wagons. Quand nous fûmes bouclés, les membres de la L.V.F. entonnèrent le chant de la Légion, qui fut bientôt dominé par une Marseillaise chantée au travers des lucarnes et volets d'aération. Notre train démarra.
RAWA - RUSKA
Quatre bâtiments à l'entrée, une vaste esplanade et à l'autre extrémité, quatre écuries de chevaux, le tout entouré de barbelés. Décors sans âme, une terre isolée.
L'ARRIVEE A RAWA-RUSKA
A l'aube du 7ème jour, les wagons déversèrent des prisonniers affamés, assoiffés et ankylosés, sur le quai d'une gare : RAWA-RUSKA.
RAWA-RUSKA terre étrange, camp funeste, terre d'exil, terreur des captifs. RAWA-RUSKA, désespoir infini d'avenir sans soleil.
RAWA-RUSKA est une petite ville de GALICIE, pauvre, entourée de marais, où il pousse à peine une herbe rare dans un sol sablonneux. Mais RAWA-RUSKA camp de prisonniers de guerre est autre chose plus tragique : deux mots sauvages qui résonneront longtemps dans le coeur des milliers d'êtres qui vécurent pendant des mois dans ce camp, conçu spécialement pour mater ce que les stalags d'ALLEMAGNE comptaient de récidivistes de l'évasion. Plus de vingt-huit mille d'entre nous passèrent dans la plus avilissante promiscuité. En nous dirigeant vers le camp, nous croisâmes une population dense et muette portant le brassard blanc frappé de l'étoile de David. Nous comprîmes que nous étions déportés dans le Ghetto.
Notre convoi s'étira, encadré par une haie marchante de baïonnettes. Pour nous, c'était le bout du monde. Devant ose de notre déplacement, un officier allemand hurla vociféra: "Vous ne venez pas en vacances ici" ! La réponse éclata : "Ne tâches pas de venir un jour en vacances chez nous".
A l'entrée du camp, un gigantesque portique surmonté inscription géante "STALAG 325". Il s'agissait d'une ancienne caserne de cavalerie russe, de construction récente. Quatre bâtisses énormes de briques rouges et, au-delà d'une immense cour, quatre écuries. Autour, c'était la campagne avec quelques bouquets d'arbres chétifs. Le camp était entouré d'un impressionnant réseau de barbelés pratiquement infranchissable.
LOGEMENT
Pour le logement, l'idée du collectif était poussée Jusqu'à l'absurde. Trois rangs superposés, sans paillasse, soixante-dix centimètres de largeur pour chaque homme. La loi du plus fort trouva ici une brutale application pour l'obtention d'une place. Sur l'étage le plus favorable, à proximité d'une porte. Il n'y avait que l'étage supérieur sur lequel il était possible de se tenir assis. Les étages inférieurs ne permettaient que de se déplacer à quatre pattes pour accéder à sa place.
L'EAU AU CAMP
Pour l'ensemble du camp, il n'y avait qu'un seul robinet qui débitait de l'eau. Devant celui-ci, une queue interminable s'étirait. Après des heures d'attente, on approchait enfin. L'eau s'arrêtait fréquemment de couler. Les cuisiniers la coupaient pour remplir leurs cuves qui étaient aussi alimentées par l'unique canalisation, ce qui occasionna souvent une attente de plusieurs heures. Cette eau n'était pas potable. Un écriteau le signalait près du robinet. Avant notre arrivée, dix mille Russes auraient péri dans ce camp, atteints du typhus. Leurs cadavres en décomposition, jonchaient le sol dans les environs.
Le matin, il y avait une distribution de thé, de rougeâtre que les cuisiniers obtenaient en faisant bouillir dans leurs immenses marmites, des branches de sapins arrachées dans la forêt voisine. La décoction était servie bouillante. Il y en avait un litre par individu. Ce liquide, conservé par chacun dans un récipient de fortune, servait aussi bien pour se laver, se raser ou être consommé au cours de la journée.
LA SOUPE
Des mesures draconiennes étaient prises pour une répartition équitable des vivres (qui était de loin la meilleur des trois soupes servies alternativement), des choux nageant dans un liquide indéfinissable, la soupe de millet. Ces soupes, un peu plus épaisses au début de la distribution, nécessitaient un brassage permanent pour ne pas défavoriser les derniers. Pour éviter une bataille autour des baquets et favoriser les premiers servis, un tour de rôle nominatif était établi et l'ordre d'appel était modifié quotidiennement par décalage. Pour le pain, des groupe de cinq ou six étaient constitués, suivant l'attribution de la boule pour cinq ou six. Le pain était découpé en cinq ou six par le responsable du groupe, et les part pesées sur une balance à fléau (constituée par du bois et de la ficelle). Le poids juste des part établies, celles-ci étaient tirées au sort. C'était la légalité parfaite établie au sein de chaque groupe. Ce stalag que radio Londres avait baptisé : "Le stalag de la goutte d'eau et de la mort lente".
Dans ce camp, nous essayâmes de trouver de quoi augmenter l'ordinaire. Toutes les orties du camp avaient été coupées et transformées en épinards de captifs. Les pissenlits avaient été dévorés, certains mangèrent de l'herbe.
Peu après notre arrivée, certains que la chance favorisa, perçurent une écuelle de zinc, j'étais du nombre de ceux-ci. Les autres reçurent leur soupe dans de vieille boîte de conserve. Les allemands n'avaient distribué aucun couvert. Quant aux tables, dans les écuries dans lesquelles nous logions, elles n'existaient pas. Par contre, les camarades qui logeaient dans les blocs, en disposaient mais en très petit nombre. Pour la plupart, nous étions tenus de rester debout pour avaler notre pitance. Beaucoup de prisonniers se construisirent de petites tables basses, en prélevant des planches de lits.
LES COLIS ET LA CORRESPONDANCE
Un jour, une nouvelle se répandit rapidement, des lettres et des colis étaient arrivés. Les envois parvenus dans nos stalags d'origine, attendant la nouvelle adresse des destinataires, nous furent réexpédiés. Chacun espérait. Nous savions aussi que les bénéficiaires ne seraient pas nombreux. le soir fut apposée sur les latrines, la liste des bénéficiaires. Ceux-ci ne purent entrer en possession de leurs colis, qu'après les avoir ouverts devant le contrôleur allemand. La plupart des censeurs se firent un malin plaisir à briser ce que nos parents et amis avaient affectueusement rangé. Les biscuits, le chocolat étaient pulvérisés, les légumes secs étaient éparpillés parmi les pâtes, les paquets de cigarettes éventrés. Les boites de conserves de toute nature, furent impitoyablement ouvertes et sondées, nécessitant une : immédiate. Certains contrôleurs les vidèrent même dans des récipients dont nous avions eu la précaution de nous munir.
Une situation toute particulière était la mienne. Je recevais quelques colis d'une association de Lorrains, par le journal "Le Lorrain" replié à RIOM, de Lucien et Maria SCHEID établis à BURES en Meurthe-et-Moselle. Ceux-ci m'avaient fait inscrire à une association pour l'envois de colis aux prisonniers. La difficulté provenait des expédiés de BOULAY, par ma mère. En effet, la stupidité et la fureur des censeurs atteignaient leur comble en trouvant dans ces colis des produits allemands, notamment du tabac. Il était inadmissible qu'un prisonnier français reçoive et consomme des produits allemands.
De jour en jour nous étions très accablés de l'absence de nouvelles de France. Les premiers envois arrivés à RAWA avaient séjourné de nombreuses semaines avant de nous parvenir. Nous percevions en temps normal, deux cartes de sept lignes et deux lettres de vingt-six lignes, ceci, par mois. Ces cartes et lettres comportaient une partie détachable contenant les mêmes caractéristiques pour la réponse. Ce système ne fonctionnait pas encore à RAWA-RUSKA, il fut mis en application beaucoup plus tard. Nous percevions aussi par mois, deux étiquettes-colis. Une bleue destinée à l'acheminement de nourriture, une rouge destinée à l'acheminement de vêtements.
Un jour, je fus convoqué à l'Abwehr (service de sécurité et de police, de contre-espionnage), je me demandai avec inquiétude quel était l'objet de ma convocation. Je fus introduit devant un Sonderführer (lieutenant) parfait représentant de la jeunesse hitlérienne, plein de superbe et de morgue. Dans un français irréprochable, ce dernier me demanda les raisons de ma présence dans ce camp (comme s'il ne les connaissait pas déjà), après lui avoir donné les explications que je jugeais utiles, il me questionna sur les raisons pour lesquelles je ne donnais pas de nouvelles à ma famille. Je lui répondis qu'il devait parfaitement savoir que, jusqu'à présent, aucune possibilité ne nous avait été donnée d'écrire à nos familles, et que par voie de conséquence, nous ne pouvons recevoir aucune réponse. Il me tendit alors une lettre de ma mère, écrite en allemand, adressée au commandant du camp, en me demandant si je savais l'allemand. Sur ma réponse affirmative, il me dit : "C'est donc dans cette langue que nous entretiendrons". Dans sa lettre, ma mère faisait part de son inquiétude, ne sachant pas ce que j'étais devenu, et demandait si je me trouvais dans ce camp. Je sus par la suite que le fichier central des stalags XII, se trouvait à la caserne de BOULAY. Grâce à une information qui lui avait donnée par une personne de BOULAY travaillant pour les services allemands du camp, elle avait eu connaissance de mon on et de mon transfert à RAWA-RUSKA. Le lieutenant allemand me questionna sur les raisons pour lesquelles je n'avais été libéré comme libéré comme Lorrain, et que ma mère, fonctionnaire allemande, avait un fils prisonnier français. Je lui fis remarquer que, né Français, ayant servi et combattu avec l'armée française, je tenais à rester Français. Il me reprocha alors violemment de ne pas servir la cause de la Grande Allemagne dans sa lutte contre le bolchevisme, ce que je pourrais regretter un jour. Il me dit encore n'avoir aucune pitié ou compassion pour les êtres comme moi. Que si ma mère semblait être une bonne personne, par contre, moi je ne valais rien, mais que pour ma mère il allait me remettre deux lettres afin que je puisse lui écrire. Il me demanda de lui remettre personnellement celles-ci. Dans ces deux fois vingt-six lignes, je donnai à ma mère le maximum de renseignements sur mon état et mes motivations, restant toutefois assez prudent pour ne pas entraîner le rejet de mes lettres par la censure. Je rapportai donc le même jour ces lettres à l'officier de L'Abwehr. Celui-ci s'étonna tout de suite de la rédaction de mes lettres dans la langue française. Ma réponse fut nette et claire : "Le Français était ma langue maternelle, et que j'entendais l'utiliser pour la correspondance avec ma famille". Prenant connaissance de cette correspondance, je le vis plusieurs fois hocher de la tête puis, après la lecture, rester un moment pensif, puis dire d'un ton ton rageur : "Nun ja" ! (oui, je veux bien), en appliquant le cachet "geprüft", puis appelant un gardien, il lui remit disant de les expédier immédiatement. Je reçus effectivement au bout d'une dizaine de jours, les lettres réponses. Le courrier était bien arrivé.
Je déplore de ne pas avoir pu récupérer, après la guerre, la correspondance qui aurait été un témoignage saisissant de ces faits. Ma mère était assez conservatrice. Je me l'explique d'autant moins, que les dessins réalisés au stalag VII m'ont été rendus et, après le décès de ma mère, les photos de captivité portant la mention "geprüft", ainsi que d'autres documents.
LES POPOTES
Dès l'arrivée des premiers colis, nous nous regroupâmes par affinités ou connaissances, afin de bénéficier des envois faits par les familles. Jean-Marie GALLERON, René PERRAUDIN et moi-même, nous formions équipe. La cuisson des aliments, légumes secs, pâtes, etc... posait souvent le problème de combustible. Les planches des lits et du hangar à paille servirent un certain temps à faire face à ce problème.
Un jour, les Allemands amenèrent, en face de notre écurie, un camion de planches. Le soir même ils constatèrent que celles-ci avaient disparu. Le surlendemain fut amené un nouveau camion de planches. Une sentinelle, baïonnette au canon, fut placée devant le tas. Timidement, quelques prison s'approchèrent des planches et s'assirent dessus quelques instants, puis repartirent. Il s'agissait tout simplement d'un test. Aucune planche n'ayant disparu, la sentinelle ne réagit pas. C'est alors que peu avant la nuit, une nuée de prisonniers, profitant des derniers rayons de soleil, vint s'assoir sur les planches. Aucune réaction de la part de la sentinelle. La discipline du camp exigeait, qu'une fois tombée toute circulation à l'extérieur des blocs et des écuries, fut interdite. Les prisonniers entrèrent en temps voulu, et la sentinelle quitta son poste. C'est alors qu'on assista à un étrange défilé de planches. Les unes après les autres, elles atteignirent la porte de l'écurie et disparurent immédiatement à l'intérieur. Chaque prisonnier avait astucieusement fixé une ficelle à une planche, déroulé la pelote jusqu'à l'écurie. Ainsi, en tirant sur les ficelles, les planches obéirent docilement.
Les ficelles provenaient de la récupération de certains colis. Chaque prisonnier accumulait au maximum ce qui lui semblait utile. La solidarité aidant, une quantité appréciable de pelotes purent être réalisées. Cet apport de combustible inespéré résolut, un certain temps, le problème de la cuisson des aliments.
A l'arrivée de chaque convoi, nous nous massions sur Le passage des nouveaux arrivants. Le 27 juin 1942, nous reconnûmes, au passage, Paul MERKLE qui avait été notre adjudant a la deuxième compagnie du 146ème RIF (Régiment d'Infanterie de Forteresse). La deuxième compagnie était la compagnie d'équipage d'ouvrage. Paul MERKLE avait aussi été mon chef de de bloc, pendant la guerre au 160ème R.I.F. ouvrage du MOTTENBERG. Dès qu'il nous fut possible de l'approcher, nous l'insérâmes dans notre groupe. Il était très mal en point, ayant eu une évasion pénible et beaucoup marché.
14 JUILLET 1942
Jour de travail ordinaire, seule une courte cérémonie le soir, après le retour des corvées.
Un défilé militaire fut organisé. le drapeau français hissé. Tout en honorant notre fête nationale, il fallait aussi démonter aux Allemands que nous étions pas devenus un troupeau indiscipliné et avili, comme tentait de le démontrer la propagande nazie. Nous avions à faire valoir que la FRANCE existait encore. Pour cette cérémonie, chacun se prépara, rafistola ses guenilles et les astiqua. Le 14 juillet en fin d'après-midi, les camarades les plus faibles quittèrent même leurs lits. Nous formâmes un immense rectangle sur le terrain de sport. Ce rassemblement dans un parfait alignement était une ironie dans ce camp de prisonniers. A un commandement de l'homme de confiance, le Grade-à-vous fut pris. Pendant que s'élevèrent les couleurs françaises, drapeau de fortune immense, c'est un morceau de la France sur cette terre ukrainienne. Dans un silence impressionnant s'éleva la Marseillaise, chantée par un ténor de Paris. Puis ce fut au tour de quatre bataillons de défiler au son de l'orchestre jouant : "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine". Ce fut le comble de l'audace. En tête, défila la section des aspirants. Puis les compagnies. Grâce à des échanges vestimentaires entre nous, des miracles d'uniformité purent être réalisés. Les unités alpines portant le béret basque et la pèlerine? Le deuxième bataillon portait une calotte russe, les hommes du troisième bataillon portaient une tenue vert épinard, le quatrième bataillon portait des uniformes français. tous les soldats portaient des sabots. les Allemands médusés, n'intervinrent pas en réalisant que des prisonniers affaiblis, dans un état de délabrement physique, purent réaliser un tel défilé : seize hommes de front.
LA MESSE
La messe du dimanche, suivie avec assiduité, était dite sur le terrain de sports. Le 15 août 1942, le groupement des provinces françaises présenta, sur une estrade placée devant autel, une exhibition de chants et de danses provinciales. est ainsi que je fis partie du groupement "Lorraine", avec lequel nous avions dansé la soyotte. Jean-Marie GALLERON Chanta un chant patriotique alsacien.
Au cours de celle-ci, le groupement des provinces présenta l'offrande. Les prisonniers, regroupés au sein d'une association catholique l'U.P.G. (l'Union des prisonniers de Guerre), se retrouvaient sur la vaste étendue derrière les cuisines. A la suite de ces réunions, le salut était célébré devant tous les participants agenouillés.
Après le salut, la sainte hostie était ramenée à la chapelle, pendant que la prière chantée par des milliers de poitrines, remplissait l'espace.
LES SOUS-OFFICIERS REFRACTAIRES
Arguant de la convention de Genêve, les sous-officiers pouvaient refuser de travailler. C'est ainsi que lorsque les Allemands réunirent les sous-officiers réfractaires dans une écurie (écurie n° 2), Jean-Marie GALLERON et moi, nous nous joignîmes à eux. Les Allemands, après nous avoir confiné dans cette écurie dans le but de nous démoraliser, instituèrent les cultures physiques obligatoires. Les sous-officiers, tous rassemblés sur un terrain entouré de sentinelles, pendant des heures ce fut l'acharnement à nous faire exécuter des mouvements de toutes sortes, et toutes sortes de contorsions. Les premiers jours suivants, ce fut Paul MERKLE qui s'imposa aux Allemands. Ancien moniteur d'éducation physique du bataillon de JOINVILLE, il humanisa ses exercices.
Un jour, les Allemands nous firent savoir que tous les sous-officiers et réfractaires seraient transférés au camp de KOBBIERZYN, et nous rassemblèrent un matin. L'appel fut fait. Nous restâmes, un certain nombre, dont Jean-Marie GALLERON et moi, sur le terrain. Nous n'étions, bien entendu, que caporal chef.
LES FOUILLES
"Demain matin, rassemblement pour tout le monde, avec cet bagages et couvertures. Les objets qui ne seront pas emmenés par leurs propriétaires, seront confisqués par les Allemands".
Cela signifiait une fouille générale pour demain.
Comme tous mes camarades, j'essayai de faire disparaitre ce qui avait échappé aux fouilles précédentes, ou ce que j'avais pu acquérir depuis. Ce n'était pas facile ; doublures de vêtements, double fond de casseroles servaient à cet usage. J'étais étonné de l'amoncellement de matériel qu'on pouvait récupérer, ce qui était le cas pour la plupart d'entre nous. J'étais devenu, comme mes camarades, un conservateur ; un morceau de carton, un bout de ficelle, du fil de fer, une pointe en fer, un bouton. Tout était devenu précieux. Je conservai une infinité de babioles inutilisables.
L'ordre de rassemblement donné, nous fûmes rapidement encadrés par un cordon de sentinelles, baïonnettes au canon. Ressemblant à un lamentable troupeau en guenilles, essayant de sauver et de protéger quelques biens précieux. Une mitrailleuse fut installée sur un petit tertre et braquée sur nous. Après deux années de captivité, l'ennemi nous considérait encore dangereux pour sa sécurité. Après de nombreuses d'attente, l'abjecte besogne des fouilles commença. Tout fut passé au peigne fin. Ce que recherchaient surtout les censeurs c'était l'argent civil. J'avais réussi à sauver jusqu'à ce jour un Deutscheslesebuch, un livre de lecture à l'usage des collèges allemands, réussissant toujours à convaincre les censeurs de me laisser cet ouvrage allemand. Mais cette fois le volume fut confisqué (peut-être en raison de cartes allemandes) auquel on ajouta quelques conserves vides. La fouille se termina en fin midi. Dans les dortoirs, tout avait été retourné, on dit qu'une armée de cambrioleurs amateurs avait opéré.
AUTRES ASPECTS DE LA VIE DANS LE CAMP
TOM–MIX
TOM-MIX, avait été le surnom donné au Hauptmann capitaine FOURNIER, le commandant allemand du camp. Ce surnom lui avait été donné parce qu'il sillonnait le camp, monté sur une bicyclette, brandissant son pistolet, menaçant de tirer sur tous ceux qui se trouvaient sur son passage. Le Hauptmann COURNIER se vantait d'être de descendance française. Ces ancêtres huguenots, avaient quitté la France à la révocation de l'Edit de Nantes, ce qui aurait pu expliquer, en bon nazi qu'il était devenu maintenant, sa haine profonde des Français, et l'acharnement qu'il mettait lui-même, et qu'il faisait exécuter par les gardiens : périodiquement, faire bousculer les récipients et marmites dans lesquels nous faisions cuire les aliments provenant de nos colis. Dès qu'il paraissait, un vent de panique soufflait sur nous, et c'était le sauve-qui-peut.
Un jour, que nous faisions cuire des haricots secs, il survint et commença sa stupide besogne. Alors que nous avions déjà amorcé le mouvement de repli, Paul MERKLE revint sur ses pas, se saisissant du récipient brûlant, l'emporta dans une course effrénée, heureux d'avoir pu le sauver du désastre. Nous nous contentâmes de les manger à moitié cuits.
Une autre fois, le diabolique TOM-MIX arriva à l'improviste, et les cris d'alerte ne furent pas entendus assez tôt par un groupe de camarades, occupé à la cuisson de leurs aliments. Bousculé et jeté à terre, un camarade se retrouva sous les genoux de TOM-MIX, le révolver sur la poitrine. Vociférant et hurlant, TOM-MIX exigea, dans un français impecable, de savoir de quel "Spitznamen" on le nommait. Le Hauptmann FOURNIER menaça de l'abattre sur place s'il n'obtenait pas satisfaction. Terrorisé, notre camarade lui dit : "TOM-MIX" mon capitaine". Cette fois l'Allemand fut satisfait. Il connaissait officiellement le "Spitznamen" (sobriquet) dont il était qualifié. Puis il lâcha le pauvre prisonnier, enfourcha sa bicyclette, le révolver toujours à la main, et s'éloigna.
LE SOUTERRAIN
Pour s'évader du camp et franchir le réseau de barbelés, la seule solution était le creusement d'un souterrain. Ce fut donc celle que choisit une équipe. L'emplacement de ce était situé non loin de l'endroit où je dormais. L'équipe se mit rapidement au travail avec des instruments de Les planches prélevées sur les lits, servirent au blindage des fouilles. La terre sablonneuse était ramenée par confectionnés dans des capotes et répandue sous le flanc. Un tour de garde établit à l'entrée de permit aux travailleurs de creuser dans une relative les équipes durent être relayées fréquemment, tant le travail était harassant. L'électricité fut installée dans le tunnel. Après des semaines d'effort, il ne restait plus que quelques mètres à creuser pour déboucher à l'air libre, lorsqu'un matin, avec des coups de sifflet stridents, une vingtaine de sentinelles envahirent l'écurie sous le commandement d'un officier, et se dirigèrent tout droit à l'emplacement du tunnel. Un mouchard avait donné le souterrain.
LE CHEVAL
Un jour, une voiture chargée de briques et de chaux, tirée par un petit cheval ukrainien aussi squelettique que nous, avait été abandonné quelques instants par son conducteur. Ce cheval avait été rapidement dételé, emmené, dépecé et partagé. Une demi-heure après le larcin, il s'en suivit une fouille générale pour retrouver l'animal, mais en vain. Ils ne s'expliquèrent jamais sa disparition.
LES CORVEES DE TERRASSEMENT
Les Allemands faisaient fréquemment la chasse aux inactifs du camp et organisèrent des corvées de terrassement dont le but fut de nous astreindre à des travaux sans grand intérêt. J'ai toujours eu la chance d'échapper aux corvées tant extérieures qu'à l'intérieur du camp. Une seule fois je ne pus échapper à la rafle. Avec tout un groupe de camarades nous fûmes obligés d'arracher des clous carrés et de les redresser. Les cloisons et poutres de l'écurie au-dessus de la notre se trouvaient en être garnis, dont le motif de leur présence nous échappait. Je me vois encore encore dans cette écurie avec les autres, littéralement dévorés par les puces, qui, vraisemblablement crevant de faim, s'abattirent par nuées entières sur nous. Elles étaient plates comme des feuilles de papier, l'écurie étant certainement vide depuis le départ des Russes.
Un jour, à l'occasion d'une corvée de terrassement, les Allemands, vraisemblablement énervés par la nonchalance des prisonniers, manifestèrent plus d'agressivité que de coutume. Certains camarades mirent cet énervement sur le compte
de notre manifestation du 14 juillet. L'hostilité s'intensifia de part et d'autre. Un camarade quitta sa place pour se rendre auprès du groupe voisin. Une brute vindicative se précipita sur lui, d'un coup de baïonnette, lui transperça le foie. Un mouvement de révolte s'esquissa envers le coupable. Les sentinelles manoeuvrèrent leurs culasses et nous mirent en joue. La situation resta tendue, en attente de la fusillade. Puis un ordre hurlé par le Feldwebel (adjudant) allemand mit fin à la tension. Les médecins et brancardiers du camp arrivèrent en hâte. Devant la gravité du cas, et ne disposant d'aucun moyen a l'infirmerie, le blessé fut évacué en ville.
Le camp était situé non loin de la voie ferrée où pasParent de nombreux trains de juifs vers les camps d'extermination. Beaucoup de ces malheureux se jetaient des trains en marche et tombaient sous les balles de leurs gardiens. Le ballast était jonché de cadavres. Ceci nous était rapporté par les corvées de prisonniers appelés à des travaux à l'extérieur du camp.
LA DYSENTERIE
La dysenterie s'empara de chacun d'entre nous, tordit nos boyaux. Personne n'y échappa. Dès l'absorption de la soupe aux choux, ce fut la ruée vers les latrines, où une multitude se disputait les places disponibles. Toute la journée et la nuit ce fut un va-et-vient à l'écurie, en ce qui me concerna, et la petite baraque en planches qui faisait vis-à-vis. Ce que je consommais comme charbon de bois n'était pas croyable.
Nous n'avions qu'une ressource, faire notre charbon de bois nous-mêmes. Je brûlais des planches, une fois celles-ci bien enflammées, elles étaient éteintes en les recouvrant de sable, puis grattées. Le résidu noirâtre obtenu était immédiatement absorbé. Puis l'on recommençait... Je fus par période, dysentérique ou constipé. Les épidémies de dysenterie se compliquaient par la rareté du papier. Pas de journaux, très peu de papier d'emballage. Certains camarades fouillèrent le terrain à la recherche de vieux sacs de papier ayant contenu du ciment. Le chlorure de chaux qui fus mis à notre disposition en quantité suffisante, nous permettait de badigeonner latrines, portes et linteaux. Nous disposâmes même à l'entrée des latrines, d'un récipient d'eau chlorée, permettant d'y tremper les mains après avoir fréquenter les lieux. Les médecins complètement démunis, furent admirables de dévouement.
DESINFECTION
Ce camp était le royaume des puces et des poux. Les hommes de confiance obtinrent qu'une désinfection put être effectuée. Les Allemands amenèrent sur la voie de chemin de en dehors du camp, une locomotive, un wagon-douches, un wagon-étuve. Une cinquantaine d'hommes pouvaient, par jour, bénéficier de cette installation. Ce qui était notoirement insuffisant pour empêcher la vermine de proliférer. J'eus la chance d'avoir pu être admis à cette désinfection. Ce n'était pas sans une certaine appréhension que nous nous dirigeâmes vers ces installations. Nous ne connaissions que trop la méthode qui consistait à envoyer les Juifs dans des douches qui, en définitive, n'étaient que des chambres à gaz déguisées.
Au cours des mois d'été, de juin à septembre, les pluies qui s'abattirent sur la région furent les bienvenues. Elles servirent de douches célestes que nous prenions, bien entendu, dans le plus simple appareil.
Tous les soirs, à vingt et une heures trente, l'électricité était brutalement coupée. Trente secondes plus tard, elle revenait. C'était le signal à partir duquel chacun disSalt de cinq minutes pour rejoindre son écurie ou son bloc, et regagner sa couche. Tout déplacement ou promenade nocturne dans le camp était formellement interdit. Seul le chemin des latrines était autorisé, en chemise. Malheur à celui qui s'attardait dehors ! il s'exposait aux morsures des chiens ou
coup de fusil d'une patrouille, une rafale de mitrailleuse d'un mirador.
Les fouilles successives nous ayant à peu près démuni de tout, j'eus la chance de trouver, un jour, un morceau de fer plat assez rouillé, provenant d'un cercle de tonneau. Ce au de fer devait me donner l'occasion d'en faire un bon couteau. Pendant des heures et des jours, à l'aide d'un morceau de brique, après l'avoir débarrassé de sa rouille, je l'aiguisais sur la moitié de sa longueur et réussis à lui donner un tranchant. Un morceau de ficelle de papier me permit de lui donner un manche. J'aurais souhaité le conserver en souvenirs, mais il dû disparaître au cours de mes pérégrinations.
CONTAGIEUX
Les Allemande avaient installés à l'arrière de la dernière écurie, une tente sanitaire marquée d'une croix rouge. C'était la tente infirmerie des contagieux, notamment des tuberculeux, qui s'éteignaient doucement, sans espoir ni aide, si ce ne fut que des paroles bienveillantes et encourageantes des médecins et des prêtres.
LE STYLE RAWA-RUSKA
Le style RAWA-RUSKA se trouva d'abord dans une chanson créée sur place, dont le mauvais goût se retrouvait dans une révolte authentique : "Il est sur la terre ukrainienne ...", et ensuite une autre chanson qui était née à POMMERANSDORF au kommando 13210 du stalag II C, à Noël 1941, dont le titre était : "Dans le cul ..." Son auteur était un imprimeur musicien et parolier. Elle avait pris son véritable RAWA-RUSKA, et fut diffusée dans les stalags par les prisonniers de retour de Pologne, et joua le rôle de la célèbre Madelan de l'autre guerre.
LE RETOUR EN ALLEMAGNE
Des bruits circulaient depuis quelques jours. Ceux-ci furent bientôt confirmés officiellement. Les prisonniers qui avaient purgé leur peine, retourneront en Allemagne. là, nous devions retrouver nos droits normaux. Une liste de quinze cents noms fut lue. J'étais partant. Le départ eut lieu le lendemain matin. Ce fut l'allégresse générale, et nous commençâmes déjà à oublier notre vie abjecte et inhumaine. Nous emportâmes tout de même des stigmates profonds dus au manque de nourriture et des conditions de vie dans le camp. Je me souviens que lors de notre arrivée à RAWA-RUSKA pour se rendre de l'écurie n° 1, où je logeai, vers le bloc 4, il y avait deux fossés à franchir, nous le faisions allègrement. Une dizaine de jours plus tard, pour les franchir, nous étions amenés à nous laisser glisser dans le fond pour re-grimper sur l'autre berge. Plus tard enfin, complètement épuisés par cet exercice, nous devions nous asseoir un long moment une fois les fossés franchis, pour récupérer quelques forces.
Après un appel, nous fûmes regroupés par cinquante, dirigés vers le hangar à paille pour une ultime fouille. Aux yeux des Allemands, le passage dans ce camp nous avait blanchi. Nous devenions de nouveau des prisonniers normaux, dressés et matés pour servir l'effort de guerre allemand. Encadrés de sentinelles, nous fûmes dirigés vers la gare, emportant une dernière vision du stalag 325, camp de représailles des prisonniers de guerre français, récidivistes de l'évasion. Méthodiquement nous embarquâmes, les gardiens fermèrent et verrouillèrent les portes derrière nous. Après quelques heures d'attente, le train s'ébranla. Naïvement, sans réfléchir aux mots qu'il prononça, un camarade, dont la joie explosa, s'écria : "Cette fois ça y est les gras, on est rapatrié en Allemagne" !
Parmi les trente prêtres qui étaient à RAWA-RUSKA, prisonniers évadés comme nous, j'eus l'occasion de servir la messe, le matin de très bonne heure, dite par un prêtre dans une encoignure de la porte d'accès à notre écurie. Il s'agissait de l'abbé Paul GAGNEUR de LYON, ancien élève des Beaux-Arts, fils de soyeux de Lyon. Je me liai rapidement d'amitié avec lui, il me dessina de mémoire, le pont de la Guillotière de Lyon, avec, à l'arrière plan, le Palais de Justice et Notre-Dame de Fourrière. il me donna également l'adresse de l'Institution religieuse à laquelle il appartenait et que j'avais gardé en mémoire. Il s'agissait de l'Institution rue de la Livatte à LYON, ce qui me permit de reprendre contact avec lui, après la guerre, alors qu'il était curé de DENICE, dans le Rhône, puis à GREZIEUX-LA-VARENNE. Il est actuellement aumônier de l'hôpital de RIEUX LA PAPE.
RETOUR EN ALLEMAGNE
Si le voyage "aller" m'avait profondément marqué, je n'ai conservé aucun souvenir du voyage "retour" (ni de sa durée), sinon de celui de notre arrivée au stalag II A de NEUBRANDEBURG, où nous avons eu le sentiment d'arriver dans quelque chose de très organisé, où les prisonniers non évadés s'étaient installés dans la captivité. Nous fûmes toutefois accueillis comme des frères, malgré notre allure et notre loqueteux. Je nous vois encore arriver dans ce camp que nous traversâmes de part en part. Les camarades observant cette troupes en guenilles. Eux propres et bien vêtus, s'identifiaient plus à des militaires dans un camp de repos qu'à des prisonniers. La première chose qui nous frappa, ce fut la présence de couples, dont les tenues féminines et le comportement étaient si parfaits, qu'on les prit pour femmes. Ils nous apportèrent de l'eau. De l'eau ! que pendant de longs mois il ne nous avait donnée de boire. Je n'avais jamais trouvé boisson aussi délicieuse.
Mais on ne mélange pas le linge sale avec le linge propre. Malgré les affirmations qui nous avaient été données à notre départ de RAWA-RUSKA, nous fûmes isolés et parqués dans des baraques séparées du reste du camp par une rangée de barbelés. Pas de communication avec nos compatriotes, de peur que de mauvaises pensées leur soient inculquées. Pendant les quelques jours où nous séjournâmes au II A, nous fûmes nourris de feuilles de betteraves. Les tombereaux amenaient celles-ci qui étaient déchargées à terre, sur une dalle de béton. Lavées d'un simple coup de jet, elles étaient ensuite cuites. Lorsque les feuilles bouillies nous étaient servies, leur consommation ne se faisait pas sans un crissement entre les dents. La terre n'était pas exempte, le fond de notre gamelle en était couvert. Un plaisantin affirma même que chez nous, en France, les vaches en crèveraient !
Au bout de quelques jours, nous fûmes transférés au stalag 11 C de GREIFSWALD, en POMERANIE. De là, les kommandos furent formés en fonction des effectifs demandés. La constitution des équipes se fit par ordre alphabétique. Impossible de rester groupé comme nous aurions souhaité le faire. Je fus donc séparé de Jean-Marie GALLERON et de René PERRAUDIN. Je me retrouvais avec une quinzaine d'autres dans une ferme dont j'ai oublié le nom de la localité. Il s'agissait de participer à la campagne de betteraves sucrières. Logés dans deux petites pièces, dans une dépendance de la ferme, sans eau, sans hygiène, pratiquement sans nourriture. Les gardiens nous emmenaient chaque matin dans un champ, qui s'étendait à perte de vue. Il s'agissait de ramasser des betteraves dont les plantations s'étendait sur des kilomètres. Alignés comme une revue, la sentinelle baïonnette au canon, derrière nous se transformait en pique-fesses lorsque le ramassage n'était pas assez rapide.
Crevant littéralement de faim, nous aperçûmes rapidement que des poules s'ébattaient autour de notre réduit. En face du nôtre, un autre réduit, servant de débarras, dans lequel avait été aménagées des latrines. L'un d'entre nous eu l'idée de prélever sur notre maigre pitance une petite part dont il avait répandu les morceaux jusqu'à l'intérieur de ce réduit. L'effet ne se fit pas attendre. Un volatile passant par là, picora et... entra dans la pièce. Aussitôt le camarade qui avait eu l'idée de cette manoeuvre, s'en fut fermer la porte. La nuit venue, nous trouvâmes la poule perchée sur un tas de bois. Une allumette diffusant un peu de clarté, nous permis de lui asséner un vigoureux coup de gourdin. Déplumée et vidée, elle fut cuite à l'eau, sur le poêle de notre logement. Elle fut mangée sans épices ni ingrédient d'aucune sorte. Il en fut de même le lendemain et les jours suivants.
Quelques jours plus tard, il y eut un beau remue-ménage. L'employé de la ferme qui habitait une petite maison en dessous de la nôtre avait remarqué que le nombre des poules dont il était propriétaire, diminuait. Bien entendu, il nous accusa du vol. Personne ne put rien prouver, et l'affaire en resta là... malheureusement, cette ressource fut tarie !
Un jour que nous remontions vers nos chambres, (nous marchions colonne par deux, l'inévitable gardien derrière nous) je marchais en tête lorsque le camarade marchant à côté de moi, me dit : "Vois-tu ce que je vois " ? "Oui", répondis-je, "je vois ce que tu vois". Il s'agissait de bidons de lait, rangés dans le sens de notre marche. Immédiatement, nos deux colonnes se séparèrent légèrement, passèrent de part et d'autre des bidons. Le dernier bidon de vingt litres partit avec nous, encadré par mon camarade et moi, soustrait à la vue par les capotes que nous portions sur nos épaules. Quelle aubaine !
Le manque d'eau et d'hygiène devenait insupportable. L'un d'entre nous découvrit, coincé entre deux planches de son lit, un billet rédigé certainement par un groupe qui nous avait précédé, nous informant qu'il était resté deux jours sans nourriture, enfermé, à la suite du refus de travail qu'il avait opposé au manque d'eau et d'hygiène. Après avoir stocké des pommes de terre, nous fîmes également grève. Même motif, même punition. Après deux jours de bouclage, nous fûmes emmenés dans un autre kommando, les gardiens ayant admis la précarité de notre situation.
P.I.W. POMMERSCHE INDUSTRIE WERKE, BARTH en POMERANIE
PRÈS DE STRALSUND sur LA BALTIQUE
Novembre 1942. Quittant le kommando des betteraves, nous fûmes emmenés dans une usine de guerre à BARTH, près de STRALSUND, sur La Baltique. Le camp dans lequel nous fûmes transférés se situait en pleine forêt. La partie réservée aux prisonniers français comportait deux rangées de baraques dont les chambres donnaient sur une cour. Le camp était propre. Nous logions à douze par chambre, elles étaient bien tenues comportaient le chauffage central, ce qui était un luxe appréciable pour nous qui avions vécu dans ce sinistre camp de RAWA-RUSKA. Le Kommando avait une infirmerie avec infirmier et médecin. Le médecin-lieutenant PEDELAHORE, qui était basque. Il y avait aussi une vaste pièce, qui servait de réfectoire, de théâtre, et la messe y était occasionnellement célébrée. Un homme de confiance français disposait également d'une pièce et d'un bureau. Le camp était situé à environ cinq kilomètres de l'usine. Un train assurait la liaison entre les différents camps-travailleurs civils, prisonniers et l'usine. Je ne me souviens plus du nombre de prisonniers français, peut-être cent cinquante ? L'ensemble de notre camp comportait trois parties :
- Des femmes Russes et Ukrainiennes (ces dernières en majorité),
- Des Français et quelques Belges, tous prisonniers,
- Des prisonniers Russes.
Le régime de ces trois catégories n'était pas identique. Le camp était gardé militairement. Si les femmes bénéficient d'une liberté relative, sorties, promenades, les français et les Belges étaient autorisés à circuler dans l'ensemble du camp sans avoir toutefois l'autorisation de pénétrer dans la zone de baraques des femmes, dont nous n'étions séparés que par un simple maillage. La nuit, nous étions enfermés dans nos chambres, après l'appel du soir et jusqu'à l'appel du matin. Quant à l'enclos des prisonniers russes, il était hermétique et ne permettait aucune approche ni aucun contact.
Le fait que la partie du camp réservée aux prisonniers français et belges n'était séparée de celle des femmes russes et ukrainiennes que par un simple maillage, bien des amitiés se nouèrent de part et d'autre de ce réseau. Chacun retrouvait sa chacune les samedis, dimanches et le soir dès que les jours furent plus longs.
Nous fûmes bien accueillis dans ce camp par les prisonniers qui s'y trouvaient déjà. Bientôt la chambre que occupions fut surnommée la chambre des aristos, en raison de leur la personnalité de bon nombre de camarades ingénieurs, professeurs, universitaires, et dont le plus âgé portait une barbe et avait été surnommé "grand-père" en raison, aussi, du prestige de sagesse, d'équilibre et bienveillance qui émanaient de sa personne.
Le camp comportait aussi des abris anti-aériens, dans lesquels nous passâmes bien des heures.
Chaque personne, civil ou prisonnier, qui travaillait à l'usine, percevait une cotte bleue. Les prisonniers français portaient un brassard tricolore avec leur numéro d'identification. Les civils, une plaque d'identité avec leur photo. Le travail à l'usine se faisait par poste, de jour et de nuit. Je fus d'abord, avec quelques camarades, affecté à la chaufferie, au nettoyage des galeries souterraines dans elles passaient les canalisations alimentant en eau chaude les différentes parties de l'usine. L'usine également construite dans la forêt, ressemblait à une immense cite, dans laquelle le cubisme régnait en maitre.
Le travail de cette équipe consistait également une fois par poste, à évacuer le mâchefer des gigantesques chaudière. Travail pénible s'il en était. Devant les gueule Les des chaudières, il fallait d'abord écarter les braises incandescentes, puis détacher le mâchefer des grilles, le ramener à l'entrée du foyer et le faire tomber dans des brouettes métalliques à l'aide de grandes tiges et racloirs. Ce travail se faisait torse nu, tant la chaleur était grande.
Puis il fallait évacuer ce mâchefer, lui aussi incandescent, sur une décharge à l'extérieur du bâtiment. Nous étions au début de décembre 1942, les journées étaient glaciales. Passer la chaleur brûlante au froid vif, relevait du supplice.
Un peu plus tard, je fus affecté à la menuiserie pour la confection de caisses de munitions.
Les Allemands avaient fait savoir qu'ils n'étaient pas osés au regroupement de frères prisonniers dans des stalags différents. Je fis donc valoir que Jean-Marie GALLERON était mon demi-frère, et qu'en raison de la constitution des kommandos par ordre alphabétique, nous avions été séparés, et que je demandais à être de nouveau réunis. Les Allemands ne cherchèrent pas beaucoup d'explications et donnèrent suite à ma requête. Peu de temps après, Jean-Marie vint me rejoindre.
Le médecin avait le privilège de pouvoir sortir camp pour effectuer quotidiennement une promenade. Il n'y avait aucune localité proche du camp, sauf à environ un kilomètre des baraquements, dans lesquels étaient hébergées des personnes travaillant également à l'usine. Des femmes et jeunes filles allemandes en constituaient la majorité. Le médecin fut accusé un jour de compromission avec des personnes de ce camp. Le médecin-lieutenant vint me voir, ayant entendu dire que je parlais correctement l'Allemand. A la suite de ma réponse affirmative, il m'expliqua qu'il devait être entendu par le commandant allemand du camp, dans cette affaire de compromission, et qu'il ne souhaitait pas avoir recours à l'interprète officiel, craignant que ce dernier soit à la solde des Allemands. J'acceptai, et traduisis aux Allemands sa défense, avec toutes les précisions qu'il souhaitait leur donner. J'admis que je m'acquittai de ma tâche d'une façon satisfaisante, aucune charge n'ayant pu être retenue contre lui.
Comme déjà dit, nous étions douze par chambre. Ces dernières étaient jumelées, donnant sur un tambour qui en commandait l'accès. Ce tambour contenait une tinette pour usage nocturne. C'était la porte d'accès au tambour, donnant sur la cour, qui était bouclée la nuit.
Un soir, que je situe dans les premières semaines de 1943, il faisait encore nuit très tôt et le jour se levait très tard, un camarade d'une chambre voisine vint chuchoter quelques mots à l'oreille de grand-père. Après un moment de réflexion, grand-père nous réunit et nous informa que la fiancée de l'un d'entre nous était dans la forêt pour tenter de le faire évader. Il nous dit aussi qu'il était impensable laisser cette jeune fille dans la forêt par ce temps glacial. Il nous expliqua aussi que la jeune fille, à l'extérieur du camp, avait interpellé le camarade qui était venu nous prévenir, alors que celui-ci se rendait à la baraque W.C., située non loin de la clôture. Nous décidâmes alors de faire rentrer la jeune fille dans le camp et de lui faire passer la nuit dans notre chambre. Le procédé imaginé était simple, les lits étant à étages, l'un d'eux fut légèrement décalé de la son afin de permettre de se glisser entre le lit et celle-ci, pour disparaitre sous le lit. Une couverture pendait gemment devant le lit pour en masquer le dessous. Cela impliquait aussi, qu'à tour de rôle, l'un d'entre nous resta debout en chemise, pour faire face à toute éventualité en cas de visite nocturne, et de faire basculer la fille entre lit et la cloison. Ces dispositions prises, il fut aussi décidé de l'habiller en tenue militaire pour ne pas éveiller de soupçons et de curiosité ; le camarade, fiancé de la jeune fille, m'invita a l'accompagner pour que je puisse intervenir et distraire une sentinelle en cas de nécessité.
Nous fîmes traverser à la jeune fille le réseau de clôture, et une fois introduite dans la baraque sanitaire, je devais retenir ceux qui voulaient y pénétrer. Tout se passa sans incident, et ce fut sans encombre que nous pûmes rejoindre notre chambre. La nuit se passa comme prévu. L'appel du lendemain matin également. Après quoi un camarade et moi les accompagnèrent. Les opérations inverses à celles de la veille se déroulèrent. Après avoir récupéré les deux tenues militaires et les avoir aidés à franchir le réseau, ils disparurent dans la nuit. C'est grâce à des papiers de travailleurs français en Allemagne qu'ils purent mener à bien leur retour.
Pour le premier mai 1943, les Russes prisonniers et femmes Ukrainiennes nous gratifièrent de chants. Bien que ne se voyant pas, notre camp constituait un masque pour eux, les choeurs qu'ils avaient constitués, alternèrent leurs chants toute la soirée et une partie de la nuit.
MALADIE
RAPATRIEMENT
Je tombai malade au cours de l'été 1943. Je rentrai à l'infirmerie du Kommando le 16 août, et fut soigné sur place médecin-lieutenant PEDELAHORE. Celui-ci me fit transporter quelques jours plus tard à l'infirmerie du stalag II C à GREIFSWALD. Je fus surpris de le voir arriver peu de temps après. Il avait été renvoyé du Kommando au stalag, par mesure disciplinaire (bien que les Allemands ne purent rien prouver contre lui), à la suite de l'accusation relatée précédemment.
Le docteur PEDELAHORE et deux médecins qui l'accompagnèrent, un médecin Français de NEUFCHATEAU et un médecin Belge, m'examinèrent à tour de rôle. Conclusion : j'étais atteint d'une pleurésie du côté droit.
J'avais pu informer ma mère de mon état de santé et de mon hospitalisation au Stalag de GREIFSWALD. Par quel heureux concours de circonstances, ma soeur et Nic BOUTTER purent-ils venir me voir ? relève du miracle ! La rencontre eut lieu dans un local du poste de garde allemand. Ils m'apportèrent une grande quantité de produits alimentaires qui contribuèrent largement à remédier à des carences de toutes natures. Ils m'apportèrent, en outre, deux bouteilles d'apéritif. J'invitai, le lendemain, mes trois docteurs à venir prendre "l'apéritif", sans autre précision, en leur demandant d'apporter leurs verres ou leur quart. Ils n'en crurent pas leurs yeux lorsque je sortis les bouteilles, ils avaient cru à une plaisanterie. Ils vinrent quotidiennement jusqu'à épuisement des bouteilles.
Les examens pratiqués, démontrèrent la présence de B.K. et d'une tache au poumon droit. Les médecins allemands me déclarèrent "D.U." - dienst unfähig - (inapte au travail). Je fus transféré à l'hôpital du stalag II A à NEUBRANDENBURG en vue de mon rapatriement. Le 18 octobre 1943, je quittai l'hôpital pour rejoindre, au stalag même,la baraque dans laquelle étaient regroupés tous les prisonniers rapatriables dans l'attente du train. Les Allemands se débarrassaient de toutes les bouches inutiles.
Le tri des malades s'opéra en fonction des affections ayant motivé notre rapatriement. J'appris que je serai dirigé sur l'hôpital de BOURG-EN-BRESSE. Je fus donc hospitalisé dans les salles militaires de cet établissement, le 14 novembre 1943.
MES "PEREGRINATIONS" A TRAVERS L'ALLEMAGNE
1 - Stalag VII A - MOOSBURG -
Internement après que je fus fait prisonnier le 4 juillet 1940.
2 - Stalag VC - OFFENBURG -
Transféré dans ce stalag, pour y être libéré comme Lorrain.
3 - Prison de METZ, et internement au fort de SAINT-JULIEN, après ma première évasion et mon arrestation en gare de PAGNY-SUR-MOSELLE.
4 - Stalag XII F - FRANKENTHAL -
Où je fus interné après mon transfert en Allemagne, à la sortie du fort de SAINT-JULIEN-LES-METZ.
5 - Stalag XII - LIMBURG -
Transféré dans ce camp, après ma seconde évasion, en instance de départ pour RAWA-RUSKA.
6 - Stalag II A - NEUBRENDENBURG -
A notre retour de RAWA-RUSKA, les Allemands nous internèrent dans ce camp.
Je fus hospitalisé à la suite de ma maladie, pour être rapatrié par train sanitaire, le 6 novembre 1943.
7 - Stalag II C - GREIFSWALD -
Transféré dans ce camp à partir de NEUBRANDENBURG, pour être affecté à un Arbeitskommando - camp de travail.
Hospitalisé à l'infirmerie du camp pendant ma maladie.
8 - STRALSUUND.
9 - BARTH.
Arbeitskommando de la P.I.W.
Dans lequel je tombai malade.
ARGENT ALLEMAND EN USAGE DANS LES CAMPS DE PRISONNIERS
Pour les travaux qu'ils exécutaient, les prisonniers de guerre percevaient une petite rétribution, cet argent était versé par l'employeur.
Cet argent n'avait de valeur qu'à l'intérieur des camps, et ne pouvait servir qu'à d'hypothétiques achats. Par contre, les prisonniers avaient la possibilité de faire transférer cet argent à leurs familles en France.
Nous avons longtemps pensé qu'il s'agissait de propagande allemande. Comme l'argent accumulé ne servait pratiquement pas, je fis tout de même l'expérience d'en expédier à Madame CUNY (dite tante Aline) à ATTON, en Meurthe-et-Moselle. Je fus surpris, après guerre, lorsqu'elle me remit cette somme qui devait être de l'ordre de 2 000 francs (1945).
SEJOUR A L'HOPITAL DE BOURG EN BRESSE
Dès mon arrivée, les examens les plus poussés furent effectués. J'appris avec bonheur que si les séquelles de la pleurésie étaient encore visibles, il n'y avait plus aucune trace de contamination par le B.K., et que j'étais sortant de l'hôpital avec une permission de convalescence de trente jours.
Deuxième choc ! Où aller ? Alors que les familles des rapatriés étaient accourues de partout, à la réception de la carte de correspondance, je me vis, les jours suivants, rester seul à l'hôpital (à part quelques malades nécessitant des soins). Le médecin-chef s'enquit de la raison pour laquelle je ne demandai pas ma sortie. Lorsqu'il eut connaissance de mon cas, il me proposa de rester tant que je n'aurai pas trouvé de solution.
Au cours de mon séjour, je profitai pour visiter la ville et l'église de BROU. J'avais du mal à réaliser que j'étais libre, n'ayant plus derrière moi un gardien,
que j'étais libre de sortir à tout moment. Il faut avoir connu le gardiennage permanent, pour apprécier la liberté.
Un des rares camarades resté, comme moi à l'hôpital, me proposa un jour de l'accompagner à la maison du prisonnier pour y demander une attestation de captivité. Cette question me parut tellement farfelue et inopportune. Qui pouvait ignorer que nous avions été en captivité ? Naïveté de ma part ! Je T'accompagnai tout de même et fis la demande nécessaire : Régiment, date de capture, stalag, etc... Nous devions revenir dans huit jours. Alors que mon camarade reçut son attestation, ce ne fut pas le cas pour moi. On me fit comprendre que je ne figurais pas sur les listes officielles des prisonniers de guerre, que je n'avais pas été prisonnier, que J'étais un imposteur, voulant profiter d'une situation qui n'était pas la mienne. Je rentrai à l'hôpital chercher la correspondance reçue pendant une partie de ma captivité. celle reçue après mon évasion, celle reçue avant mon évasion, je l'avais détruite avant de m'évader. La cause fut entendue, et l'énigme résolue.
Comme Lorrain, les Allemands ne m'avaient certainement pas fait figurer sur les listes du stalag VII A, puisque les Allemands devaient nous libérer comme Lorrain. Lorsque je fus repris et cette fois interné au stalag XII F, je ne fus pas rajouté sur les listes officielles du camp établies à l'origine. J'obtins mon attestation.
Lorsque la maison du prisonnier eut connaissance de ma situation particulière, elle me proposa un séjour au centre de convalescence, pour prisonniers rapatriés, de FLEURALPES LES CARROZ-ARRACHES (haute-Savoie). à 1100 mètres d'altitude.
Je quittai l'hôpital à destination de LYON, où j'avais été invité quelques jours chez M. et Mme PLONTZ, marbrier à DOULAY. ces derniers avaient eut connaissance de mon retour
le journal "Le Lorrain", ils résidaient à VILLEURBANNE depuis la guerre.
Au cours de mon séjour chez eux, M. et Mme PLONTZ m'amenèrent à une réunion de lorrains. J'eus l'occasion de connaître la présence de Henri HIGELIN, ancien voisin et camarade d'enfance. J'avais travaillé aux Ponts-et-Chaussées à BOULAY, avec son père, alors subdivisionnaire. Henri HIGE - IN et sa femme m'invitèrent également, un soir, chez eux.
J'arrivais le 6 décembre 1943 à FLEURALPES.
EN CONVALESCENCE DANS LES ALPES DE HAUTE-SAVOIE
FLEURALPES - LES GRANGETTES
6 DECEMBRE 1943 - 6 JUIN 1944
Fleuralpes était situé à flanc de montagne, aux CARROL, commune d'ARACHES, au pied des pistes de ski à 1100 mètres d'altitude. C'était un centre de convalescence pour prisonniers de guerre rapatriés ou évadés qui, pour une raison ou une autre, ne pouvaient ou n'avaient pas pu rejoindre leurs familles. Camarade d'Afrique du Nord, évadés ne pouvant séjourner sans risques dans leurs familles, juifs ou alsaciens lorrains. Le centre était dirigé par Madame JOLYCLERC, assistée d'une infirmière alsacienne, Mademoiselle WINNINGER (qui avait quitté clandestinement l'Alsace. L'ambiance était chaleureuse, et je ne tardais pas à faire connaissance de la Résistance, un camp installé dans un bâtiment des auberges de la jeunesse, un peu plus haut dans la montagne. Il s'agissait d'une formation F.I.P.F. (Francs-Tireurs et Partisans de France).
Jean POOT |
Nous avions aussi des contacts avec l'A.S. (Armée Secrète) dont une formation était dirigée par un officier belge : le lieutenant Jean POOT, qui venait fréquemment passer quelques jours au chalet. Je fis aussi la connaissance de la secrétaire en chef de la mairie de CLUSES, Madame GUTMANN, ainsi que de son mari, qui venait aussi, quelques fois passer des fins de semaine au chalet. Ils me reçurent plusieurs fois chez eux. Elle me fournit même une fausse carte d'identité.
Les réseaux de résistance me proposèrent plusieurs fois de rejoindre leurs rangs. Notamment les F.T.P.F. qui semble-t-il manquaient d'encadrement. Je déclinai ces propositions, arguant que mon état de santé ne me permettait pas encore de vivre la vie rude et incertaine des campements, mais que je serai présent le moment venu. ce que je fis en rejoignant dès juin 1944, l'Armée Secrète, dont le responsable du camp FXII était Jean POOT (déjà cité).
Carte d'identité établie par la mairie de Cluses. Le lieu de naissance qui y figurait était TOUL Meurthe et Moselle. Madame Gutman, secrétaire de mairie, m'avait dit les archives de la ville avaient été détruites.On remarque un grattage à l'emplacement du lieu de naissance. Effectivement, après la libération, la modification a été effectuée en substituant BOULAY Moselle à TOUL Meurthe et Moselle.
A ma sortie de l'hôpital, une permission de trente jours m'avait été accordée (avec retour dans les services hospitaliers). J'obtins sans difficulté plusieurs prolongations, qui m'amenèrent au printemps. Dès mon arrivée a Fleuralpes, je fis l'acquisition de skis pour profiter amplement des pistes, ainsi que des randonnées et courses de printemps.
A FLEURALPES, A MON RETOUR DE CAPTIVITE
Décembre 1943
Fin décembre 1943, la directrice me fit appeler un soir en me demandant au téléphone. Très surpris, je me rendis dans son bureau ; c'était Marie PELTE Qui avait réussi à faire établir cette communication à partir de SAINT-GENIEZ-D'OLT (AVEYRON) ce qui constituait un véritable tour de force. Il faut dire qu'à l'époque, elle était employée aux P.T.T. et que c'est grâce à la complaisance de plusieurs collègues entre CLERMONT-FERRAND, ANNECY et peut-être CLUSES, que cette communication put aboutir. La directrice était la plus étonnée, car aucune communication téléphonique ne pouvait être établie en dehors de la gendarmerie et des services publics , médecins et hôpitaux.
En ce début d'année 1944, deux évènements qui auraient pu se terminer tragiquement, eurent lieu. Il m'arrivait de temps à autre, accompagné d'un camarade, de descendre à CLUSES. Or, ce jour-là, en traversant le minuscule hameau de BALME où aboutissait le sentier descendant de la montagne, arrivés à la hauteur de la dernière maison, une voix nous intima de nous arrêter immédiatement. Après une courte hésitation, nous voulions continuer notre chemin, ne sachant pas ce que devait signifier cet ordre. La voix venue du fond d'un couloir se fit pressante. "Arrêtez ! Arrêtez !" puis : "Les Allemands sont à 100 mètres !" Nous nous étions immédiatement arrêtés. En approchant de la porte, une jeune fille apparut dans l'encadrement et nous dit : "Les Allemands ont tendu une embuscade pour prévenir une action éventuelle du maquis, un convoi allemand devant se rendre à SAINT-GERVAIS". Il ne nous a pas fallu longtemps pour rejoindre le sentier muletier et Commencer à gravir les pentes abruptes du versant. Nous n'avions pas marché cinq minutes que la fusillade éclata. Ce que nous avions compris alors, était que la Résistance avait elle aussi, monté une embuscade, et avait pris à partie le convoi allemand. Il faut vraiment friser l'inconscience ou la témérité car, mon camarade et moi, avions malgré tout décidé de rejoindre CLUSES par un autre chemin. Nous sommes arrivés pour assister au retour des Allemands, en ordre de bataille. Après avoir pris d'assaut les positions surélevées des maquisards. Ces derniers décrochèrent en laissant un mort sur le terrain. On ne sut jamais, du côté allemand, le nombre de victimes.
Quelques jours plus tard, tous les pensionnaires de FLEURALPES ainsi que la population, assistèrent à ARRACHES aux funérailles, suivant la version officielle "d'un jeune homme trouvé mort".
Les "forces de l'ordre" avaient amené plusieurs "détenus" dans le but de leur faire identifier d'éventuels membres de la Résistance, mais rien ne se passa. Le hameau des CARROZ fut investi par les G.M.R. (Groupes Mobiles de Reconnaissance) qui s'installèrent dans la station de départ du remonte-pente et réussirent, par je ne sais quel subterfuge, à faire descendre l'un des responsables installé à la station d'arrivée du remonte-pente. Celui-ci fut abattu dès qu'il arriva à ski, en vue de la station. Le châlet de FLEURALPES fut également investi, il s'en suivit une fouille méthodique et un contrôle d'identité pour tout le monde. Je crois me souvenir que le maire de la commune fut arrêté et emmené.
Ma permission de convalescence ayant pris fin, nous nous installâmes, avec d'autres camarades au nombre de trois, dans un chalet appelé "LES GRANGETTES", appartenant à des Suisses, juste au-dessus de FLEURALPES, et dont une famille avait les clés. La directrice m'avait préalablement demandé si je ne voulais pas occuper le poste de la personne chargée du ravitaillement. Cette dernière venait de quitter son service. J'occupais ce poste quelques jours, puis déclinais l'offre, l'astreinte au déplacement, dans des conditions quelques fois précaires, ne me convenait pas et me pesait.
Revenant un jour d' ANNECY, où j'avais crû être obligé de me rendre pour régulariser ma situation militaire (je me rendis compte par la suite que cette démarche avait été inutile), je fus arrêté par le maquis, non loin d'ARRACHES, par des membres du camp F.T.P.F. situé, comme déjà dit, non loin de FLEURALPES. Ceux-ci me conduisirent au chef de camp. Celui-ci me fit immédiatement relâcher et m'expliqua qu'une opération avait été menée au centre de convalescence en raison de présomptions très lourdes qui pesaient sur des pensionnaires du centre. Le contrôle avait été étendu au chalet que je partageais avec trois camarades. Ma qualité de Lorrain d'une part une part, absent deux jours au moment de l'opération, les fouilles qui avaient été opérées, donnaient à penser que je vais être impliqué de collaboration avec les Allemands, autant plus qu'il avait été découvert que j'avais perçu une me importante, et que je percevais régulièrement des revenus. Ceci relevait du manque de jugement et de clairvoyance membres de cette mission de contrôle. Il fut reconnu que les sommes perçues étaient des arrérages de solde, du 4 juillet 1940 au 13 novembre 1943, et les revenus mensuels, tout simplement ma solde. L'aller et retour à ANNECY à la subdivision militaire, ne constituait pas une fuite.
Le responsable militaire du camp, alors que le chef de n'avait que la responsabilité du logement e. me proposa même de rejoindre leur formation où il me serait confié le commandement d'un groupe. Comme déjà dit, il y avait dans ce centre pour prisonniers rapatriés, des gens de toutes origines sociales, politiques et confessionnelles. A part la discipline imposée par le règlement intérieur, déjeuner, diner et visites médicales obligatoires nous étions libres de nos aller et venues, et pouvions demander une autorisation d'absence pour un repas, d'une ou deux journées. Des relations se sont établies. Or, il se trouva que un entre nous avait fait connaissance d'une femme de la vallée qui entretenait des rapports avec les Allemands, ce que tout le monde ignorait bien entendu. Cette personne devait, grâce aux renseignements extorqués ou, et peut-être, fournis complaisamment ou naïvement, permettre aux occupants allemands de connaître les effectifs et les mouvements des groupes de résistance dont nous étions voisins.
Cette femme, certainement repérée et identifiée, ses agissements découverts par les réseaux ont conduit ceux-ci à connaître ses relations. C'est ainsi que les F.I.P.F. se sont posés la question de savoir si le centre de convalescence ne comportait pas d'indicateurs autres que celui sur lequel des présomptions planaient. Ce fut là, l'origine de la descente et des investigations : recherche d'un poste émetteur, notamment dans notre chalet "LES GRANGETTES", vérification de l'identité et de l'origine des pensionnaires. N'ayant pas été présent, je ne peux que relater ce qui m'a été raconté à mon retour.
Il semblerait que cet individu et la femme qu'il fréquentait, auraient informé les membres du réseau de Résistance, que d'autres camarades étaient impliqués dans la transmission des renseignements aux Allemands, et qu'eux n'avaient rien à se reprocher. Ceci fut rapporté par le chef F.T.P.F., ainsi que la manière de les confond citer aucun nom). Le responsable des F.I.P.F. installa cet individu derrière une table, avec une pipe dans la bouche, et fit défiler tous les pensionnaires devant lui. Celui-ci devait changer sa pipe de côté dès qu'une personne "impliquée" passait devant lui. Or, pendant tout le défilé, la pipe ne changea pas de côté. Le doute s'installa chez les résistants, et sans ménagements, pressèrent ce personnage de questions. Il finit par se reconnaître le seul coupable. Il fut abattu sur place. Un camarade avec lequel j'étais très lié, confia que témoin de cette scène, cela ne lui avait "rien fait" de le voir descendu. On imagine, non sans frisson, ce qu'il serait advenu si d'aventure cet individu, mécaniquement ou réflexe incontrôlé. avait changé sa pipe de côté. Lors de mon interception, je remarquai une femme gardée par un homme armes. On me demanda si je la connaissais. Je ne l'avais jamais vue. Cette personne fut passée par les armes, le lendemain.
Triste période, où l'on n'était à l'abri, ni des Allemands ni des forces de l'ordre à la solde de Vichy, ni même, quelque fois, de ceux dont on partageait les sentiments.
le débarquement eut lieu, la libération commençait et, fidèle à mon engagement, je rejoignis le camp F 12 A.S., le lieutenant Jean POOT à SAMOENS.
RESISTANCE - FRONT DES ALPES
1944 - 1945
Opérations dans le secteur de BONNEVILLE (Haute-Savoie),
du 15 juin 1944 au 19 août 1944, date de la libération du secteur.
Les rivalités entre l'A.S. et les F.T.P.F. n'étaient lus à démontrer. Ces derniers à tendance communiste, représentaient, à leurs yeux, la Résistance. Quelques jours plus Hard à SAMOENS (Haute-Savoie), éclata un incident qui aurait pu avoir les conséquences les plus graves. Les F.T.P.F. montèrent en épingle une affaire dont on ne connu pas l'origine ni l'exactitude. L'un des nôtres de l'A.S. se serait approprié d'affaires appartenant aux F.T.P.F. De quoi s'agissait-il ? Armement, ravitaillement ? Comment l'affaire débuta-t-elle ? Je me souviens que nous nous retrouvâmes sur la place centrale de SAMOENS, les armes à la main. Les F.T.P.F. d'un côté, de l'autre l'A.S. Au centre, les chefs de camp des deux fractions qui s'expliquaient. La tension était extrême, surtout chez les F.T.P.F. qui nous invectivaient. Je me dis que si l'un ou l'autre tirait un coup de fusil, simple intimidation ou réflexe incontrôlé, il risquait de s'ensuivre une belle boucherie. Certains avaient déjà mis leurs armes en batterie. Heureusement, la sagesse des chefs réussit à calmer les esprits, et bientôt tout rentra dans l'ordre.
Après la libération de Cluses, je me souviens de ce groupe d'Allemands fait. prisonnier et que de jeunes F.T.P.F. avaient alignés devant les magasins d'une artère principale non loin de la mairie.
L'un de ces jeunes, cravaté de rouge voulait absolument les passer par les armes.
L'un des Allemands, conscient de ce qui se passait, tirait constamment sa montre de sa poche.
Mes camarades et moi, nous estimions qu'ayant déposé les armes fait prisonniers, ces allemands devaient être dirigés vers un lieu d'internement, même un prêtre, certainement le Curé de Cluses, s'interposa.
Les Allemands furent finalement emmenés.
Cette tendance à la domination s'exerça à la libération de CLUSE. Alors que tous les mouvements de résistance participèrent a cette libération, dès les opérations terminées 1.1.P.F. placardèrent des affiches, instituant pour la ville un gouvernement militaire. Toutes les décisions même civiles, relevaient de ce gouvernement.
Dans la période qui suivit la libération; toutes les formations ou mouvements de résistance furent informés de procéder a leurs dissolutions et de rendre les armes et les munitions, de livrer également celles encore stockées dans les caches. Les "volontaires" de ces groupements ou formations étaient tés à rejoindre leurs foyers leur maintien ne se justifiait plus.
Les unités qui souhaitaient continuer le combat étaient tachées à une formation militaire. Ce qui fut le cas pour notre formation.
De nombreuses armes et munitions ne furent pas rendues par certains groupements ou milices qui restèrent présents dans les villes. J'entendis personnellement l'un de ces groupe que les armes ne seraient pas rendues, qu'elles pourraient peut-être encore servir un jour.
Je pris avec intérêt connaissance du texte paru dans la "Grande histoire des Français" par Henri AMOUROUX, tome 7
"UN PRINTEMPS DE MORT ET D'ESPOIR"
... Maurice THOREZ ne reviendra de Russie qu'au jour et conditions fixés par le général DE GAULLE. Ce sera le 27 novembre 1944 et pour imposer au parti communiste la rapide dissolution des milices patriotiques ainsi que la disparition des comités de libération locaux souvent encore en compétition avec les administrations municipales et départementales légales.
Ainsi le parti communiste travaillera-t-il à élargir les prérogatives de comités départementaux de la libération dont devaient dépendre destitutions et nominations.
Ainsi se trouvera-t-il à l'origine de comités de libération ayant la direction insurrectionnelle et pouvant alors, grâce aux F.T.P. et les milices patriotiques dont il est le maître, un véritable quadrillage militaire et politique du territoire.
Au mois de mai 1944 le rapport de la mission UNION qui a pris d'importants contacts dans la Drôme, l'Isère et la Savoie contient des mots sévères pour ces groupes de résistants intéressés seulement par l'occupation des mairies, pour saisir le pouvoir le jour J et non par le combat contre les Huns.
- Puis ce furent les opérations de Maurienne du 26 au 30 aout 1944.
- A notre retour a ANNECY nous prîmes nos cantonnements à SEVRIER au bord du lac, et affecté à la garde des prisonniers de guerre allemands.
Rattachés au Bataillon BOUTAN le 10 septembre 1944.
- Le 23 septembre départ pour la Tarentaise octobre Novembre 1944.
Début décembre 1944, nous rejoignîmes une nouvelle is ANNECY, et primes nos quartiers à VERRIER-DU-LAC. Le capitaine me promit une permission pour me rendre auprès de me famille, dès que BOULAY et sa région auraient été libérés. BOULAY fut libéré le 19 novembre 1944. J'obtins la permission promise, et me rendis à PARIS pour prendre un train vers METZ. Aucune autre possibilité n'existait encore. A PARIS, gare de l'Est, les contrôles militaires ne m'autorisèrent pas à continuer mon voyage vers METZ, en raison de l'incertitude de la ligne des combats. Je pris donc la décision de prendre le train pour CLERMONT-FERRANT, pour me rendre à SAINT-GENIEZ-D'OLI, chez Marie PELTE, où elle résidait avec ses parents depuis leur expulsion par les Allemands en 1940. Je passai chez eux les quelques jours de permission qui m'avaient été accordés. Puis je rejoignis VERRIER-DU-LAC.
Ici se termine le chapitre "Résistance" et mon appartenance aux différentes formations issues de ses rangs.
Les effectifs s'étaient déjà sensiblement réduits lors des rattachements à une formation ou à une autre. Les derniers volontaires" rentrèrent chez eux et ils ne resta plus que ceux qui souhaitaient continuer le combat.
Je contractai un engagement pour la durée de la guerre, plus trois mois.
Opérations de Maurienne du 26 au 30 août 1944
Retour à ANNECY.
Affecté à la 1ère Division Alpine, 2ème Bataillon des Glières (Bataillon BOUTANT - du nom de mon commandant) - Compagnie TAILLERE (du nom du capitaine).
Défilé à ANNECY le 22 septembre 1944 |
Je suis le second du premier rang |
Départ vers la Tarentaise |
Annecy 23/09/1944 |
Défilé FFI à Annecy 22/09/1944 |
Défilé FFI à Annecy 22/09/1944 |
Défilé FFI |
Départ pour la Tarentaise 23/09/1944 |
Septembre 1944
Alors que nous étions à Val d'Isère, notre mission consistait à la surveillance de la frontière Italienne.
Ce jour là, mouvement vers le col de la Galise (frontière à 2990 m d'altitude).
Glacier de la Galise (2990 mètres) |
Capitaine CHARIGNON (JAILLERE étant son nom de guerre) |
VAL D'ISERE 4 OCTOBRE 1944
Ce que l'on a qualifié de "la bande à Schoun" |
Sur le pont de l'Isère |
Avec quelques hommes de mon groupe |
Avec la compagnie muletière |
Val d'Isère 4 octobre 1944 |
Val d'Isère 4 octobre 1944 |
FORMATION DU 7ème BATAILLON DE CHASSEURS ALPINS
constituant avec les 13ème et 27ème la 5ème demi-brigade
Le bataillon BULL, du nom du commandant BULL, héros de la libération d'ALBERTVILLE (Savoie) et héros de la Résiscance, qui devint le 7 ème bataillon de chasseurs alpins, était en formation avec des engagés volontaires pour la durée de la guerre. Aucun mouvement n'étant prévu avant le début du mois de janvier 1945, je demandai et obtins une nouvelle permission. Je m'en allais passer les fêtes de Noël à SAINTGENIEL. Pendant mon séjour chez les PELTE, je reçus des nouvelles de ma mère et eus connaissance du bombardement de AY le 8 novembre 1944, et la libération de la ville.
Je fus affecté au 7ème Bataillon de chasseurs alpins. le 1er janvier 1945. Nommé sergent-chef par l'ancien chef de bataillon a/c du 1er janvier 1945.
TARENTAISE - FRONT DES ALPES
Nous fîmes mouvement vers la Tarentaise début janvier avec mission de nous déployer le long de la frontiere italienne, à partir de BOURG-SAINT-MAURICE, SEEZ, SAINTE-FOY, LA THUILE DE SAINTE-FOY, LES BREVIERES, TIGNES, en vue de contenir une éventuelle poussée des troupes allemandes qui combattaient en Italie. Mon premier cantonnement fut TIGNES. Village englouti aujourd'hui par la construction du barrage. Lavais un collègue du nom de ROMAN (j'ai oublié son prénom) avec lequel j'entretenais de bons rapports. Ce dernier me fit part de la construction du barrage, et m'apprit qu'il était déjà embauché pour sa construction future, dès la guerre terminée. Il devait occuper un poste d'une certaine importance puisqu'il me proposa de le suivre. Je déclinai cette offre.
Pendant notre séjour à TIGNES, nous eûmes à faire face la contrebande du sel par des bandes venant d'Italie, par delà les crêtes. Amenant du riz, elles le négociaient contre du sel et du papier à cigarettes. La population, et même l'ordinaire de notre compagnie, y trouvaient bénéfice.
Puis je passais quelques temps AUX BREVIERES, ensuite à la THUILE DE SAINT-FOY.La compagnie s'installa à SAINTE-FOY. Je fus chargé de l'instruction et notamment sur les tirs de mortiers de 81 m/m, dont la compagnie venait d'être dotée. Je commandais d'ailleurs en second, le chef de section étant officier. La section comptait environ soixante-quinze hommes, six tubes de mortiers et un groupe de combat.
Au cours de notre séjour à SAINTE FOY, nous eûmes la visite de Emile ALLAIS, champion olympique de ski, inventeur la méthode qui porte son nom. Il était accompagné par ALLARD, autre champion. Ils étaient inspecter la section d'éclaireurs skieurs. Ils déjeunèrent avec nous.
Puis la compagnie, toujours commandée par le capitaine JAILLERE (son nom de guerre), son vrai nom CHARIGNON, rejoinit SEEZ. où était installé le P.C. du commandant DE BUTTEL, commandant le bataillon. DE SEEZ partait la route qui rejoignait le Petit Saint-Bernard et l'Italie.
La section de mortier fut investie de plusieurs missions d'actions et de soutien en faveur des compagnies intervenant sur les postes italiens qui comprenaient aussi des éléments allemands.
Le transport des tubes, du matériel, des obus, des munitions pour les armes automatiques, se faisait à dos d'hommes, souvent dans des conditions très pénibles. L'état de la neige nécessitait souvent l'utilisation de raquettes ou de crampons à glace, sinon les deux simultanément.
La mission des Bataillons de chasseurs Alpins était la défense des frontières, empêcher le repli des forces de l'Axe vers la France.
Nos combats n'avaient rien de spectaculaire, on se battait pour des sommets, des pics, des ravins, déloger l'ennemi, le capturer ou le faire se replier.
INSTALLATIONS DE NOS POSITIONS
Mise en batterie d'un groupe de mortiers |
A l'arrière plan les prisonniers |
L'Armistice intervint le 8 mai 1945.
Le bataillon occupait la vallée d'AOSTE en Italie.
La permission tant attendue pour me rendre chez les miens, ma mère, ma soeur Marie-Louise et mon frère Jeannot, me fut accordée. Je pris le train quelques jours plus tard en direction de METZ. A METZ, place Saint-Louis, je rencontrai des boulageois qui m'informèrent qu'aucun transport public n'existait, mais que des transports effectués par des particuliers, se faisaient. Je trouvais donc un de ces véhicules, une bétaillère aménagée avec des bancs. On voulut bien m'y accueillir. Je me fis déposer à CONDE, pour savoir si Marie et ses parents étaient de retour. J'appris par ses parents, que revenus depuis la veille, Marie était partie à BOULAY annoncer à ma mère leur retour.
Une moto de passage me prit en charge et me déposa au passage à niveau de BOULAY, au moment même où Marie y arrivait à bicyclette.
Nous nous retrouvâmes tous réunis après quatre années de séparation.
Notre mariage fut célébré le 2 juin 1945.
OCCUPATION EN AUTRICHE
AOUT 1945 - FEVRIER 1948
En ce qui nous concernait, notre compagnie prit ses cantonnements à MOUCHARD. Nous reçûmes les premières recrues, et les combattants volontaires pour la durée de la guerre nous quittèrent. Ne restèrent que ceux qui contractèrent un nouvel engagement, pour faire carrière.
Chaque bataillon dû fournir un détachement précurseur pour reconnaître, en AUTRICHE, les zones d'implantation des unités, et organiser leur arrivée.
Ma connaissance de la langue allemande contribua certainement à ce que je fus désigné pour accompagner le captiane CHEVALLIER. capitaine adjudant-major du bataillon pour faire partie de ce détachement. Le parc automobile mit à notre disposition une Peugeot 402B, avec chauffeur nommé CERBONESCHI, qui tenait un hôtel à AIX-LES-BAINS, et que j'eus l'occasion de revoir dans son établissement, vers 1965, alors que j'effectuais une cure à AIX. Représentant le 7ème bataillon, nous rejoignîmes les autres éléments du détachement pour l'ensemble de la 27ème division alpine.
Le convoi formé, nous nous mîmes en route pour atteindre MULHOUSE le premier soir. En soirée, je demandai et obtins de la part du capitaine, l'autorisation de me faire emmener, par le chauffeur, rue d'Ensisheim où habitait l'oncle Jean Cautre frère de ma mère) et les BARTH. Je sentis chez l'oncle une certaine gêne. En tant que fonctionnaire (Inspecteur principal des directes) devenu allemand du fait de l'annexion, n'avait-il pas été dans l'obligation de faire partie d'organismes allemands ? Pensait-il peut-être aussi que je venais demander des explications ? Après lui avoir fait connaitre la raison de ma visite et ma joie de le revoir, la gêne se dissipa. Grand fumeur de pipe, il apprécia le volumineux paquet de tabac que j'avais apporté. La soirée fut agréable.
Deuxième étape, après avoir traversé la Forêt Noire, longé le Lac de Constance, nous atteignîmes LINDAU.
Troisième étape, ce fut l'AUTRICHE : BREGENZ, SANKT ANTON IN TIROL, le Col de l'ARLBERG, INNSBRUCK. Au fur et à mesure que nous traversions ces villes, notre convoi s'amenuisait, perdant les éléments dont les unités devaient s'implanter dans les localités traversées.
Au cours de notre séjour à INNSBRUCK (quelques jours), je rencontrais dans l'hôtel dans lequel une chambre m'avait été attribuée, deux infirmières que je connaissais, faisant également partie du détachement précurseur, pour le service de santé. Nous devions meubler notre temps libre, cela se fit en visitant ensemble la ville, et par une montée en téléphérique du Hafelekar. Puis ce fut KUFSTEIN, localité dans laquelle devait s'installer l'Etat- Major du bataillon et la compagnie de commandement. Les compagnies devaient loger dans les localités périphériques. Il s'agissait pour le 7ème B.C.A., de relever un bataillon de la division marocaine de montagne. L'accueil de la part du personnel de cette unité fut chaleureux. Je logeais à l'hôtel de la Poste, en bordure de l'INN. Cet hôtel avait été réquisitionné pour servir de mess aux sous-officiers.
Mon uniforme tranche nettement |
Kufstein - 27 août 1945
La compagnie à laquelle j'appartenais, commandée par Lieutenant BLANCHARD, s'installa à KIRCHBICHL. Je le retrouvais, je pense en 1960, comme commandant à l'école du Génie à ANGERS, lors d'une finale nationale d'un rallye militaire auquel je participais.
Il était interdit aux militaires français en Autriche de sortir munis d'une arme personnelle.Compte tenu de mes fonctions (renseignement bataillon) et des investigations et recherches nécessaires, le chef de bataillon m'avait personnellement établi une autorisation de port d'armes.
Marie vint me rejoindre en Autriche dès l'automne 1945, alors que notre compagnie tenait ses quartiers à Kirchbichl. Comme déjà relaté je fus affecté à l'État-Major du Bataillon. Nous rejoignîmes Kufstein quelques jours après son arrivée.
Je ne tardais pas à être affecté au P.C. du bataillon à KUFSTEIN,
service de renseignement, toujours en raison de ma connaissance de
l'Allemand. Le lieutenant MAZELIER était le chef du service, il ne
parlait pas l'Allemand. Nous entretenions d'excellents rapports.
Marie
vint me rejoindre, et un logement nous fut attribué, dans une très
belle maison, dont les appartements avaient été occupés par des
douaniers allemands.
Le chef de bataillon, toujours le commandant DE
BUTTET, me convoquait plusieurs fois par semaine et m'entendait sur les
questions les plus diverses touchant à l'état d'esprit de la population,
la présence d'éléments nazis, la présence supposée de bandes armées.
Je
découvris un jour, le bureau de recrutement allemand (Wehrmeldeamt) qui
fut un élément précieux pour recherche et l'identification des anciens
SS.
Le commandement était toujours soucieux de savoir si des bandes armées
séjournaient dans la moyenne ou haute montagne. Ce sujet revenait
périodiquement dans les questions que nous traitions avec lui. Il était
difficile d'y répondre, les renseignements recueillis étaient maigres et
souvent contradictoires. Je crus bon de lui faire observer, qu'à mon
avis, il n'y avait qu'une solution : celle d'aller chercher le
renseignement sur place. Il me rétorqua qu'il était difficile de monter
une opération d'envergure. Les vallées étaient trop nombreuses.
Certaines bandes pouvaient tenir les crêtes, se dissoudre dans la nature
en cas d'alerte, et se reconstituer ailleurs. Je lui développais mon
idée : il s'agissait de faire sillonner la montagne par des militaires
français, parlant l'Allemand, déguisés en prisonniers allemands évadés.
Mais, me dit-il, vous êtes l'homme de la situation, je vais en référer
au commandement, étudier l'affaire qui vous sera confiée. Si j'avais pû
me rétracter, je l'aurais fait. Je ne suis pas un "froussard", mais
l'aventure était de taille.
Au jour fixé, nous revêtîmes (nous
étions deux) une tenue allemande. Un pistolet lance-fusées sous
l'aisselle droite, un révolver sous l'aisselle gauche, des grenades
autour de la taille, une musette avec des casse-croûtes appropriés et,
en route ! Notre itinéraire soigneusement étudié, nous avions été emmené
en voiture au pied du massif que nous devions parcourir.
Nous
atteignîmes au lever du jour les premiers chalets de montagne, pour
arriver en fin de matinée aux premiers refuges habités. Curieuse
sensation que celle de se présenter dans notre accoutrement. Dans la
pièce principale, parmi quelques touristes ou montagnards attablés, nous
nous installâmes, et bien vite nous fûmes dévisagés. Bientôt, l'un des
consommateurs vint s'installer à nos côtés, et la conversation
s'engagea. Plus habile dans la manipulation de l'Allemand, je fus le
seul à répondre aux questions de notre interlocuteur. Ce dernier nous
questionna, bien évidemment, sur notre évasion, sur notre itinéraire,
notre destination. Quant à moi, ne perdant pas de vue le but de notre
mission (celle de rechercher des éléments armés), je le questionnai à
mon tour sur les possibilités que nous pouvions espérer : accueil, aide,
rencontres possibles, etc... Aucune réponse exploitable nous confirmant
la présence de troupes armées nous fut faite.
Alors que nous
consommions une infusion, notre interlocuteur me dit : "Bien que vous
parliez correctement l'Allemand, il y a quelques consonances qui
dénotent quelque chose d'étranger". "Rien d'étonnant à cela, lui dis-je,
je suis sarrois". "Ah, et de quelle localité ?" "De LAUTERBACH",
répondis-je sans hésiter, pensant me tirer d'affaire en raison de la
proximité de CARLING, en Moselle. Je l'entendis avec stupéfaction me
dire qu'il connaissait bien LAUTERBACH, qu'il avait de la famille dans
cette localité, mais qu'il y avait longtemps qu'il n'y était plus
retourné. Cet entretien en resta là. Notre interlocuteur régla notre
consommation, nous souhaita de réussir dans notre entreprise, et sortit
du refuge. J'étais abasourdi ! En plein massif tyrolien, dans un refuge
de montagne de plus de 2000 mètres d'altitude, rencontrer une personne
qui avait de la famille dans une localité frontalière franco-sarroise
(que j'avais citée pour me tirer a un mauvais pas), c'était incroyable.
Il aurait été malsain qu'il pousse plus avant ses investigations. Nous
quittâmes également le refuge pour continuer notre itinéraire.
Aucun
fait particulier n'était à retenir, sinon la sympathie ou
l'indifférence. Choses tout à fait normales dans le contexte d'après
guerre dans un pays qui avait été annexé par l'Allemagne.
Je
faillis avoir un accident. M'étant engagé sur un névé, je dérapai et fus
entrainé dans une glissade sur le dos et projeté en avant. J'atterris
au milieu des caillasses et rocheux, sur une énorme touffe de
rhododendrons qui amortit ma chute. Plus de peur que de mal. Sans autre
incident notoire, nous rejoignîmes le lieu où nous attendait l'échelon
d'accueil. Fourbus, mais satisfaits de notre escapade, on nous embarqua
dans un véhicule pour rejoindre le P.C. et faire notre rapport.
Mis
à part l'aide, l'accueil et la sympathie par les personnes rencontrées,
aucune trace de groupes armés, ni aucun renseignement laissant supposer
leur existence.
L'occupation se déroulait dans de bonnes
conditions. peu d'antipathie de la part des Autrichiens. Les
renseignements recueillis me permirent de découvrir un stock important
de moteurs d'avions, vingt-huit, je crois, qui provenaient d'une usine
souterraine (mais je ne sus pas de quel type).
Le 7ème bataillon
fut dissous le 2 mars 1946. Je fus muté aux unités régimentaires n° 5 à
KITZBUHEL. Ces unités furent également dissoutes le 16 octobre 1946. Je
fus affecté au 27ème B.C.A., et nous conservâmes nos cantonnements,
comme je gardai mon appartement à KITZBUHEL.
Madeleine naquit le 19 mai 1947. A cette occasion, Nic et Malou, accompagnés de Brigitte, vinrent passer quelques jours avec nous.
Au cours de l'été 1947, notre bataillon se rendit à VIENNE pour le mois de la Présidence, où nous étions astreints à tous les services de garde et d'honneur à rendre aux délégations Françaises, Anglaises, Russes et Américaines.
Je me souviens de cette humiliation que nous avions eue à subir. Lors de la traversée en chemin de fer de la zone russe d'occupation, nous fûmes obligés de descendre de nos wagons. Rassemblés par dizaines, hommes de troupe d'un côté, Sous-officiers de l'autre, pour être comptés. Cela me rappela sinistrement le temps de la captivité (tout juste si nous ne fûmes pas encadrés par des soldats Russes, encore que je ne prétends pas que ce ne fut pas le cas. Les Russes tenaient à contrôler d'une façon très précise les troupes étrangères qui traversaient leur zone d'occupation (VIENNE faisant partie de celle-ci), pour des alliés, c'était un comble.
A VIENNE, chaque puissance d'occupation avait son secLeur. Si la circulation dans les secteurs Anglais et Américuns ne posait aucun problème, le secteur Russe, quant à 141, était délimité par un réseau de barbelés, avec chicanes, gardées par des blindés. En aucun cas, nous n'étions autorisé a y pénétrer. Les quatre puissances occupantes formaient chaque Jour une patrouille internationale, surtout destinée à la surveillance des troupes d'occupation. Quatre représentants, un par nationalité. Les Américains fournissaient en outre, la jeep.
J'ai fait partie, une journée, de l'une de ces pailles. C'était assez folklorique du point de vue de la conversation. L'esprit était bon, même le "towaritsch" (camarade Russe) était décontracté. Nous circulions dans les trois zones : Française, Anglaise et Américaine, à l'exclusion de la zone Russe. Secteur absolument impénétrable, même par la rouille internationale. Alors que paradoxalement, les officiers Russes et leurs familles fréquentaient les coopératives militaires d'achat, installées en secteur Français.
Traditionnellement confirmé par les autres participants français), les haltes se faisaient à midi au mess français pour l'apéritif, chez les Anglais pour le "five 0 Clock", et chez les Américains, pour une autre boisson. Le Russe suivait le mouvement et gardait le mutisme quant à l'interdiction qui nous était faite de pénétrer en secteur Russe.
Pendant le mois de présidence, nous n'étions pas de service tous les jours. Marie ayant eu l'autorisation de venir passer quelques jours à VIENNE, nous eûmes l'occasion de visiter la ville, dont SCHONBRUNN.
Un concours de tir pour l'ensemble du bataillon ayant été organisé dans le WIENERWALD, je me classai premier au classement par point, toutes armes confondues.
J'avais été nommé, un jour, chef de poste à la HOF - BURG. HOFBURG, dans la vieille ville, palais impérial résidence des HABSBURG.
Le bataillon logeait à la Radetzky Kaserne. Je me souviens de la sinistre plaisanterie faite une nu ne connut jamais l'auteur, qui cria dans les couloirs : "Les Russes attaquent" ! Ce fut un beau branlebas de combat. Mais tout rentra très vite dans l'ordre. Ceci dénotait déjà notre état d'esprit envers les Russes. Notre mois de présidence terminé, nous rentrâmes à KITZBUHEL, et dûmes subir le même comptage.
Notre séjour se poursuivait dans de bonnes conditions. Beaucoup de montagne en été, notamment quinze jours de haute montagne avec escalade de la WILDSPITZE (3774 mètres d'altitude), ski en hiver avec différentes compétitions.
Arrivé en fin de contrat, au mois de janvier 1948, je ne le renouvelai pas, et quittai l'AUTRICHE, pour rejoindre la FRANCE, avec femme et enfant, le 1er février 1948.
A notre retour, nous nous installâmes à BOULAY. Jean-François naquit le 12 août 1949. Marie, leur mère, décéda le 12 septembre 1952.
Le 29 août 1953, je me remariais avec Marie-Louise MERLOT, qui accueillit Madeleine et Jean-François, comme ses propres enfants.
De notre union naquirent :
- Pierre-Bernard, le 27 octobre 1958,
Décédé le 11 mars 1959.
- André, le 19 mai 1962.
A ma femme, qui a développé en moi la motivation nécessaire à cette rédaction, mes enfants et mes petits-enfants.
Henri SCHOUN
Octobre
1993